Années 80. Comme tous les ados, Thomas Zins a des rêves plein la tête. Devenir écrivain, depuis que Balzac l’a convaincu qu’il n’y a pas plus grande joie que de provoquer, par les mots, des émotions chez les lecteurs. Et surtout, coucher avec une fille ! Parce qu’à 16 ans, Thomas Zins est encore puceau. Il n’a même jamais roulé de galoche. Alors quand la belle Céline Schaller l’embrasse, le garçon est au septième ciel. Autant dire que son dépucelage n’est plus très loin. Enfin…avant ça, il lui faudra tout de même lui parler de sa quéquette miniature, un vrai complexe qui l’a d’ailleurs poussé à arrêter le foot (pour ne pas avoir à prendre sa douche avec les autres…) !
C’est une véritable plongée dans la psyché adolescente (et son inconstance: un jour Thomas doute de ne jamais coucher avec une fille, le lendemain il est le roi du monde…) que propose Matthieu Jung dans Le triomphe de Thomas Zins, vaste roman de 750 pages qui couvre finalement 20 ans de la vie de son « héros ». Mais peut-être pourrait-on retirer les guillemets à héros car Thomas Zins n’a-t-il pas triomphé , comme le titre, ironique (comme souvent avec son protagoniste), l’indique ? Mais de quel triomphe parle-ton exactement ? Pas de celui que l’on croit bien sûr. Car dans une langue tous terrains, trans-genre serait-on tenté de dire, aussi à l’aise dans un style très littéraire et recherché (et même un peu précieux parfois, avec l’utilisation de mots comme « résipiscence », « puînée » ou « glèbe », clins d’œil aux velléités d’écriture de son héros) que dans sa manière stylistique d’évoquer les années 80 en Lorraine (avec des expression comme « je balise », « une chouille » et cette façon qu’ont les lorrains d’ajouter un article défini devant les prénoms: « la Katia »), c’est bel et bien le combat qu’a entrepris Thomas contre son homosexualité que Matthieu Jung nous narre ici. Car oui alors que tout semblait enfin sourire pour lui: des études brillantes qui se profilent, une histoire d’amour enviée de tous avec la belle Céline, cette malédiction lui tombe dessus, symbolisée par Jean-Phi. Jean-Philippe Candelier, un écrivain-acteur-réalisateur aussi brillant qu’homosexuel qui va lui révéler son attirance pour les hommes. Une fois qu’il l’aura compris, Thomas Zins fera tout pour ne pas être vaincu par son homosexualité. Quand son histoire d’amour ne sera plus un rempart suffisant, c’est alors l’alcool qui prendra le relais, jusqu’à l’oubli. Thomas Zins ira jusqu’à la déchéance s’il le faut mais il vaincra ! Personne ne saura jamais qu’il est une tapette. Là est son triomphe !
Une descente aux enfers rythmée par le hit parade d’Europe 1 (les chansons de Renaud, Gainsbourg ou Lavilliers défilent sur le tourne-disques de Céline ou Thomas) et les films à l’affiche (L’été en pente douce, encore lui!, Rue Barbare…) à l’époque. Sans oublier la course aux marques car, comme, dans cette société, tout est dans le paraître, tout comme il faut s’afficher avec une jolie fille (même si on est homo) et qu’il vaut mieux passer un bac C, il convient d’avoir le denier modèle de Sebago, Burberry ou Levi’s. Jung revisite le roman d’apprentissage (qui surprend aussi avec cette histoire d’amour aussi forte que singulière et livre, au passage, quelques beaux portraits, comme ceux de Paul Zins, grand-père de Thomas, ou de Céline, dont l’amour, malgré les péripéties, restera fidèle à Thomas) à sa façon, sombre, et livre, dans le même mouvement, un portrait particulièrement désenchanté des années 80. Une belle découverte (personnelle car il a déjà sorti 2 romans, Principe de précaution, en 2009, et Vous êtes nés à la bonne époque, en 2011) que cet auteur. Difficile en effet de résister à son évocation de ces 2 vies gâchées par l’incapacité à assumer ce que l’on est, qui marquera d’autant plus si vous avez grandi dans les années 80.
(Roman – Anne Carrière)