2048, en Italie. Raniero est psychologue dans un hôpital. Sa vie sentimentale est arrivée à un tournant : sa femme Nadia lui a annoncé qu’elle quittait la maison pour prendre un appartement en ville. C’est dans ce contexte qu’un soir, alors qu’il conduit sa voiture, il aperçoit des lumières étranges qui viennent du ciel. Si étranges qu’elles lui font perdre sa concentration et le contrôle de son véhicule qui bascule dans un ravin. Le lendemain, avec le choc reçu à la tête lors de l’accident, Raniero ne sait plus très bien s’il a réellement vu ces signaux lumineux. Jusqu’à ce qu’il reçoive en consultation une jeune femme internée pour hallucinations qui lui confie avoir vu des signaux lumineux la veille et être en contact télépathique avec une civilisation extraterrestre…
Les signes sont là –ces lumières mystérieuses dans le ciel, son cœur qui se met à battre plus vite en présence de cette jeune fille- évidents et clairs, mais comme beaucoup Raniero refuse d’abord de les voir. Le changement fait peur. Car il peut tout remettre en question : ses petites habitudes, son quotidien monotone mais rassurant car bien réglé et sa conception même de la vie. Et puis il y a la différence d’âge entre lui et Dora, le regard des autres et le poids des conventions (Dora est sa patiente…). Alors, il s’accroche au monde qu’il connaît, même s’il est “triste, fatigué, malheureux, petit et fini”. Avant que Dora ne vienne le voir chez lui…
Après “5000 kilomètres par seconde” (meilleur album à Angoulême 2011), Manuele Fior revient avec cet imposant roman graphique chez Futuropolis. Et comme son délicat dessin noir et blanc au trait fin rehaussé de fusains le laisse supposer, il propose avec “L’entrevue” un récit tout en retenue et en subtilité, qui suggère beaucoup plus qu’il ne dit et vient nous parler d’amour, de ses effets euphorisants, de sa magie, de sa complexité aussi, dans un monde vieillissant où ce sentiment semble avoir disparu au détriment de la violence, de la haine, de la jalousie. Et si les vaisseaux venus de l’espace stationnent dans le ciel au même moment, ce sont bien Raniero et Dora qui peuvent passer pour des extraterrestres aux yeux des autres tant ce qui leur arrive –ce bien-être, cette compréhension mutuelle sans avoir besoin de se parler, ce bonheur ressenti rien qu’à se regarder- paraît extra-ordinaire.
Il n’y a pas que cette belle histoire inattendue entre Dora et Raniero dans “L’entrevue”, qui porte finalement un regard bien désenchanté sur notre société (qui court à sa perte à moins que l’on n‘y mette plus d’amour !) froide, où la science-fiction joue surtout le rôle de révélateur des relations humaines. Un récit qui cultive volontiers le mystère et ne se laisse, du coup, pas appréhender facilement mais s’avère au final envoutant. Et qui confirme que Manuele Fior est une voix singulière dans la bande dessinée actuelle.
(Récit complet – Futuropolis)