BD. Commençons par les faits, hallucinants, qui en disent long sur les mentalités de l’époque…Le 3 juillet 1761, L’Utile, navire de charge dont le capitaine, Lafargue, avait embarqué 160 esclaves quelques jours plus tôt à Madagascar, fait naufrage au beau milieu de l’Océan Indien. Les survivants (quelques membres de l’équipage et une bonne partie des esclaves, qui étaient enfermés dans la cale à ce moment-là, périrent) parvinrent à gagner l’île de Sable toute proche. Rapidement, tout ce petit monde s’organise pour tenter de survivre sur cet îlot minuscule d’environ 1 km² : un puit est foré pour avoir accès à de l’eau potable et les Fous de Bassan, nombreux, offrent une nourriture facile. Et sous l’impulsion du premier lieutenant Castellan, l’idée de construire une petite embarcation de fortune avec ce qu’il reste de L’Utile est lancée. Mais peu de blancs sont prêts à le suivre dans cette entreprise un peu folle. Il n’a alors d’autre alternative que de demander leur aide aux esclaves, qui acceptent, espérant ainsi pouvoir revoir Madagascar. Une fois le bateau prêt, quelques semaines plus tard, Castellan se rend compte qu’il est trop petit pour accueillir tout le monde : tous les blancs peuvent embarquer mais les malgaches sont abandonnés sur l’île…Il faudra attendre 15 ans pour que les derniers survivants, 7 femmes et un bébé, ne soient secourus par un bateau, dirigé par un certain Tromelin…
245 ans plus tard, une campagne de fouilles, sous-marines et terrestres, est lancée par Max Guérout sur l’île qui abrite désormais une station météo pour retrouver des vestiges du bateau ainsi que des traces des habitations et de la vie des occupants de l’île pendant ces 15 ans et ainsi comprendre comment ils s’organisèrent pour survivre. Elle se poursuivra 2 ans plus tard, avec, cette fois, la participation de Sylvain Savoia, que l’on a convié à ce second séjour pour qu’il puisse mettre en images ce qui s’est passé sur l’île. Le résultat est Les Esclaves oubliés de Tromelin, qui est ici réédité sous une nouvelle jaquette et enrichi d’un cahier graphique revenant sur l’esclavagisme en France et son abolition en 8 dates et quelques dessins, à l’occasion de l’exposition Tromelin, l’île des esclaves oubliés, présentée au Musée de l’Homme de Paris du 13 février au 3 juin 2019. Un double récit en fait puisque Savoia, pour ce qui reste son livre le plus personnel et le plus abouti à ce jour, raconte en parallèle l’histoire des esclaves et celle des fouilles, à 247 années de distance, présent et passé se faisant écho pour rendre hommage à ces esclaves abandonnés et témoigner de la barbarie que fût l’esclavagisme, qui n’a été reconnu crime contre l’Humanité que très récemment, en 2006, grâce à Christiane Taubira. Une très belle façon de contribuer au devoir de mémoire.
(Récit complet, 128 pages – Aire Libre)