ROMAN. Pierre Pelot en avait assez de devoir se battre, après plus de 200 romans parus, pour être encore publié! Alors il avait poussé un coup de gueule et avait, en même temps, claqué la porte des maisons d’édition. Braves Gens du Purgatoire serait son dernier livre, point final. Pourtant, depuis, Ailleurs sous zéro (une collection de nouvelles parue chez Eloïse d’Ormesson) et ce Les Jardins d’Eden sont sortis. Un revirement? Non, c’est juste que notre homme ne peut pas ne pas écrire. C’est viscéral pour lui. Un besoin, comme bien manger, respirer ou peindre. Et en plus, allez savoir pourquoi, il n’avait jamais publié dans la mythique collection Série noire (qui avait d’ailleurs, ironie de l’histoire littéraire, refusé de publier L’Eté en pente douce en 1980, dont on connaît pourtant le succès….) de Gallimard. L’erreur est maintenant réparée avec Les jardins d’Eden.
Un roman noir, exercice auquel Pierre Pelot se frotte ici avec gourmandise dans son style très personnel si particulier qui donne une place prépondérante à la nature, ici celle de ses Vosges natales, ses rivières, ses vallées, les ateliers de filature qui s’y sont installés…. L’intrigue? Elle passe presque au second plan. De toutes façons, on sait où l’on met les pieds avec la Série noire: on sait pertinemment que l’on va patauger dans le moche, dans le sordide, le glauque. D’ailleurs, l’écrivain ne fait pas les choses à moitié (à part pour le cadavre de la petite Manuella…): trafic d’organes, disparitions inexpliquées d’enfants, corps balancés aux cochons, sexe…Le tout dans un camp de marginaux surnommé Chaparak, à côté du village de Paradis (qui fait écho à celui de Purgatoire, dans son précédent roman). Non, ce qui intéresse surtout notre homme, c’est Jean-Pierre Sand, alias Jip. Saisir et décrire au plus près, en tout cas essayer, ce qui se passe dans sa tête, toutes ces choses qui s’entremêlent d’un coup, qui s’entrechoquent à ne plus savoir quoi faire ou penser. La mort de cette gamine, Manuella, la copine de sa fille retrouvée à moitié dévorée par des bêtes dans la forêt; la mort de son ex- femme Agnès; ses différents passages au bloc opératoire et les divers traitements cancérologiques successifs; la rencontre de Céline, sa nouvelle compagne; sa fille Annie, Na pour les intimes, qu’il n’a pas vu depuis longtemps, trop longtemps, si longtemps qu’elle a dû disparaître et les jumeaux Touetti qui doivent forcément savoir quelque chose vu que Na traînait souvent aux jardins d’Eden, leur camping agrémenté d’un casino et d’une salle de spectacles…Voilà pourquoi la narration de ce roman est éclatée et même hallucinée par moments. Elle est à l’image du cerveau de Jip, dans lequel tout se mélange: souvenirs et présent, réalité et rêve, ce qu’il fait et ce qu’il doit faire, sous l’effet des médicaments (il est encore sous traitement), de l’alcool (il n’est bien entendu plus sensé boire…) et du choc, anticipé, de ce qu’il sait, mais ne veut pas le réaliser, qu’il va découvrir. Jip qui ne sait pas toujours si les choses ont été vraiment dites ou s’il les a entendues dans sa tête. Un état d’épuisement, physique et psychologique, et d’effarement que Pelot rend à merveille et qui mènera forcément au drame quand Jip part, un Glock glissé à l’arrière de son pantalon, au beau milieu de la nuit estivale, trouver les frères Touetti et Virginia, la mère de Manuella devenue leur associée, pour connaître la vérité et découvrir où est sa fille…Un roman sidérant!
(Récit complet, 280 pages – Gallimard/Série noire)