Partir pour oublier, pour s’oublier. Tels les marins de la Royale qui errent sur les océans et espèrent ainsi laisser derrière eux les fantômes du passé en s’exilant dans les salles des machines et en s’enivrant des odeurs de mazout et de la fatigue des quarts de nuit. Errer dans de longues traversées transatlantiques et ne pas avoir à se confronter à la réalité de la terre ferme. S’accrocher à des vies rêvées, fantasmées, inventées pour ne pas prendre le risque de vivre. Ou raconter la vie d’une héroïne de 18 ans, incroyable de courage, Inés de Florés, qui se révolta contre la dictature brésilienne quand elle comprit que c’est elle qui avait tué son mari à force de le torturer, pour ne pas avoir à réellement vivre la sienne.
Se réfugier dans la fiction, inventer des histoires pour être sûr qu’elles soient belles : voilà ce que se sont employés à faire jusqu’ici Théo, rochelais engagé à 16 ans dans la marine pour oublier un amour de jeunesse impossible et Diego, angolais naufragé volontaire au fond de la cale d’un navire abandonné, qui a fui la mort de son amoureuse. C’est leur rencontre fortuite dans le port de Lisbonne, que nous content ici Bernard Giraudeau et son complice graphique Christian Cailleaux, très inspiré, qui leur permettra de tirer un trait sur le passé pour enfin vivre le présent.
Un récit (le dernier de Bernard Giraudeau avant sa disparition l’an dernier) délicat et intimiste qui, en mêlant habilement rêves et réalité, fiction et vie normale, sonde joliment l’âme des marins au long cours. Un carpe Diem très plaisant.
(BD – aire libre)