Sara Kaplan bosse au New-York Times. Quand le journal reçoit une lettre de Niko Barnes s’accusant du meurtre d’une jeune tzigane de 17 ans survenu en 2008 dans le Mississippi et disculpant donc Chayton Cardello, condamné (et qui va être exécuté) pour le crime, la quarantenaire se sent comme investie d’une mission, peut-être parce que le parcours de cet ex-marine revenu estropié (il est désormais impuissant) d’Irak lui rappelle son père et ses traumatismes du Vietnam. C’est elle qui doit couvrir l’affaire et tenter de comprendre quel intérêt ce gars encore jeune parti retourner vivre chez sa mère a de porter ce chapeau ! Alors elle repousse son escapade à Paris avec son amoureux (même si elle sait qu’il risque de ne pas comprendre), fait des pieds et des mains auprès de Dean, son rédac chef, pour récupérer l’affaire et s’envole pour Jackson, Mississippi, le sud profond comme on l’appelle, pour y rencontrer ceux qui ont côtoyé Barnes : son ex-femme Lily, ses anciens voisins et, espère-t-elle, sa mère…
Si Louise Caron a choisi la forme du roman d’investigation (la journaliste remplaçant ici le policier), c’est que l’enquête lui permet de brosser le portrait du sud profond des Etats-Unis à travers divers personnages représentatifs rencontrés par la journaliste : une femme noire qui n’a que la solution du mariage avec un blanc riche pour sortir de sa condition (sa mère la destinait à la prostitution comme ses sœurs), un shérif républicain qui se dit non-raciste mais utilise le terme “nègre” pour parler des afro-américains, des rednecks un peu bas de plafond qui penseraient probablement, si on était en 2017, que Trump va remettre de l’ordre dans ce bordel qu’est devenu l’Amérique… Le soleil de plomb, les maisons délabrées victimes des subprimes, les corps en eau, les champs de coton et les maisons blanches des ex-planteurs en guise de décor pour que la reconstitution soit parfaite…
Le roman (qui prend ensuite des allures de thriller) met aussi en scène des procès, celui de l’indien métis Cardello, injustement condamné, puis celui de Barnes, qui sera condamné à son tour sans que l’on parle des sujets qui dérangent et qui l’ont peut-être poussé à faire ce qu’il a fait : le stress post-traumatique des soldats revenus d’Irak qui se suicident par centaines, le scandale pharmaceutique que cache cette affaire (l’Armée utilisait les soldats pour tester de nouvelles molécules pour leur donner de “l’allant” lors des missions….). Et, symboliquement, celui de l’Amérique toute entière, qui semble répéter inlassablement les mêmes erreurs dans son Histoire : en s’entêtant à punir de la peine de mort des êtres dont on n’est pas sûrs de la culpabilité à 100%, en laissant faire des compagnies comme Mansanto, qui après avoir produit le fameux agent orange, un défoliant utilisé au Vietnam, continue d’exposer la population avec ses expérimentations pharmaceutiques, ou en continuant d’envoyer ses enfants commettre l’irréparable pour défendre ses intérêts (c’était le Vietnam dans les années 60-70, maintenant c’est l’Irak) et perdre leur âme…
Porté par le style à la fois élégant et percutant de Caron (“L’héroïsme est la sauce, concoctée par les élites, pour accommoder à l’usage des masses, un plat de tripes percées, avec la bénédiction des partis politiques et des églises”), Les rumeurs du Mississippi est une radiographie aussi sombre que désabusée de l’Amérique. Une plongée engagée, sans concessions, et parfois poignante, dans l’envers du rêve américain, avec une lueur d’espoir, faible, qui perce tout de même sur la fin…Un très bon livre !
(Roman – Aux forges de Vulcain)