Blutch fait partie de ces quelques auteurs, rares finalement, avec lesquels on peut s’attendre à tout tant leur goût pour l’expérimentation les rend imprévisibles. On l’avait, en ce qui nous concerne, laissé sur une impression mitigée avec « La beauté » (chez Futuropolis) alors qu’il nous avait enchantés quelques mois auparavant avec « C’était le bonheur », excellent récit muet sorti chez le même éditeur. Et ce « Lune l’envers », du coup, vous allez me dire ? Encore un peu de patience. Laissez-moi d’abord vous parler de l’histoire…
Car oui, cette fois, il y a une histoire en bonne et due forme. Et elle commence fort : une maman, sentant sa fille prête, lui transmet une capsule de cyanure, qu’elle détenait de sa propre mère, comme une « porte de sortie honorable », au cas où elle soit complètement aculée et désespérée…Cette fille, c’est Liebling, la petite amie de Lantz qui veut faire carrière dans la bande dessinée et qui vient de se voir offrir ce qui pourrait être l’opportunité de sa vie : prendre la suite de Pips, le célèbre auteur, et continuer sa série fétiche « Le Nouveau Nouveau Testament ». Mais ce qu’il ne sait pas, c’est que bien des années plus tard, quand il sera au point mort scénaristique face au tome 42 qu’on l’empresse de réaliser et qu’il cherchera l’inspiration dans les bras de ses maîtresses, il sera débarqué sans ménagement par son éditeur, à coups de Majeur (une sorte de Taser qui se porte sur le doigt central de la main et qui envoie des décharges électriques particulièrement violentes), tout en en se voyant promettre de se faire presser comme un citron pour « lui faire couler tout son jus »…
Il y a donc une histoire mais elle est, comme souvent avec Blutch, singulière et même parfois loufoque (on pense à la scène du chien, notamment). L’auteur y fait de fréquents allers et retours entre passé et présent (entre le Lantz jeune et le Lantz vieux en fait) pour livrer sa vision, très critique et souvent drôle, du monde de l’édition (l’éditeur est représenté comme un dictateur qui méprise aussi bien les auteurs que les lecteurs et est prêt à tout pour vendre) ou des relations hommes/femmes (basées essentiellement sur le sexe). Ajoutez-y le Tronc ou le Toutou, des moyens de locomotion du futur plutôt inattendus, l’Eurifice –une machine avec deux orifices pour y mettre les mains qui crée des histoires- ou des crottes partout sur le sol (il y a de plus en plus de petits chiens dans le futur…) et vous commencerez à avoir une petite idée de ce « Lune l’envers » tour à tour drôle, inventif ou étrange.
(Récit complet – Dargaud)