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MANGEZ-LE SI VOUS VOULEZ (Gelli/Teulé)

BD. Un beau jour d’été 1870. Alain de Moneys se prépare pour aller à la foire d’Hautefaye, un village voisin. Ayant récemment été élu adjoint au maire il espère y voir certaines personnes pour régler quelques problèmes avant son départ pour le front. Lui le bien né aurait pu payer un miséreux pour échanger son « mauvais numéro » avec lui mais il n’en a rien fait, tenant à aller se battre pour la France. Il ne le fera jamais. Car dans quelques heures une foule hystérique, avinée et poussée à bout par la sécheresse, le lynchera en pleine rue. Elle le battra, le torturera, lui fera connaître les pires sévices, lui urinera dessus avant de finir par le brûler vif et de le manger. Parce que l’un d’entre eux a cru l’entendre dire « A bas la France » et l’a pris pour un prussien…

Est-ce parce qu’il a commencé par travailler pour le neuvième Art ? En tout cas, Teulé est l’un des romanciers les plus adaptés en bande dessinée. Ainsi, après (notamment…) Charly 9, Le Montespan ou Entrez dans la danse, c’est cette fois au tour de Mangez-le si vous voulez d’être dessiné. Et si le livre sort dans la collection Mirages, ce n’est pas, cette fois, Guérineau qui s’en est chargé. Mais Gelli. Un auteur rare en BD (il fait surtout de l’illustration et travaille pour le cinéma). Et c’est bien dommage. Car il livre ici une partition grandiose. Et il le fallait, pour être à la hauteur de ce récit particulièrement noir, parsemé ici ou là de touches burlesques. Un ton particulier (comme souvent avec Teulé) que Gelli s’est parfaitement approprié, mettant en scène la violence du lynchage et le calvaire de de Moneys avec brio. Le trait particulièrement direct et spontané qui donne beaucoup de mouvement aux scènes, le traitement expressionniste qui fait parfois ressembler la foule hystérique à des bêtes, les couleurs sombres (le trait est rehaussé de noir et de lavis de gris) simplement trouées, parfois, de rouge (celui du sang de de Moneys) et de jaune (celui du brasier allumé pour le brûler) : le travail graphique de Gelli porte, avec un grand talent (la scène où les cases alternent les coups portés à de Moneys et les jeux présents à la foire est un régal d’humour noir), le texte, glaçant et parfois absurde, de Teulé. Et met parfaitement en exergue les ressorts (ignorance, vin, effet de groupe, jalousie, besoin d’un bouc émissaire pour se défouler de ses malheurs, superstitions, lâcheté de certains, comme le maire, qui ont préféré fermer les yeux plutôt que de prendre leurs responsabilités) de l’hystérie collective qui s’est emparé du village de Hautefaye ce jour-là. Un fait divers aussi troublant que macabre et une grande adaptation. A ne cependant pas mettre entre toutes les mains !

(Récit complet, 168 pages – Mirages/Delcourt)

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