Si la famille de Léo a fui le Chili, ce n’était pas par peur de la dictature de Pinochet mais au contraire parce qu’ils craignaient le virage gauchiste pris par le Chili d’Allende au début des années 70. Le jeune garçon a d’ailleurs ensuite été élevé dans le culte du général putschiste qui avait « remis de l’ordre » dans le pays. Parti, bien plus tard, travailler en Angleterre, voilà que Léo se trouve, par hasard, de nouveau confronté à Pinochet, venu se faire soigner à Londres et assigné ensuite à résidence par la justice anglaise… A Pinochet mais aussi à l’histoire familiale…
Olivier Bras a choisi un angle d’attaque pour le moins surprenant pour évoquer l’histoire récente du Chili : un narrateur dont la famille met Pinochet sur un piédestal ! Façon également de montrer que cette période divise encore beaucoup au Chili… Pour certains, le dictateur a vraiment sauvé le pays du péril communiste ! Et tant pis pour toutes les familles qui pleurent encore leur mari, fils, frère ou cousin disparus, assassinés sans laisser de trace…
La visite de Pinochet à Londres en 2000 est donc le prétexte qui permet au scénariste d’évoquer cette période dramatique de l’histoire du Chili. Bras revient ainsi ici avec inspiration sur l’inexorable (le pays avait vraiment envie de changement…) arrivée au pouvoir d’Allende après plusieurs tentatives infructueuses, sur les premiers mois passés au gouvernement, sur les manigances des militaires en coulisses et sur les derniers jours d’Allende qui sacrifiera finalement sa vie pour la cause qu’il avait choisi : justice et progrès social pour son pays… Des destins croisés (parallèlement à la trajectoire d’Allende, Bras propose, en contrepoint, un éclairage, fait de scènes courtes, sur la « carrière » de Pinochet et comment il est arrivé au sommet de l’état) particulièrement réussis qui tirent notamment leur force du travail pictural marquant, très original (il mêle gouaches et dessin, paysages pleine page très léchés et trait sommaire) de Jorge Gonzalez (que l’on avait déjà beaucoup aimé dans Bandonéon ou Chère Patagonie). Sous ses pinceaux et ses crayons, Allende prend l’allure d’un fantôme hantant encore et toujours la société chilienne. Un roman graphique véritablement captivant.
(Récit complet – Futuropolis)