Chloé Cruchaudet a beau être encore une jeune auteure (elle est née en 76), elle s’est néanmoins déjà fait remarquer avec sa trilogie “Ida” et “Groenland Manhattan”, pour lequel elle a reçu le prix René Goscinny en 2008. Et c’est désormais avec le statut d’auteur confirmé qu’elle revient avec cet extraordinaire “Mauvais genre” qui sort dans la souvent excellente collection Mirages.
Elle y conte une histoire incroyablement forte et parfaitement inattendue. Une histoire d’amour dont on sait d’emblée qu’elle finit mal puisque la scène d’ouverture du récit se passe dans un tribunal et décrit le procès du couple, a posteriori. La suite raconte comment on en est arrivé là, dans ce prétoire. Comment Paul a séduit puis épousé la belle couseuse Louise, la déclaration de guerre à l’Allemagne, le départ de Paul pour les tranchées, l’horreur, le sang, la désertion pour éviter la folie et la mort qui guettent, puis le confinement, dans une chambre d’hôtel, pour ne pas être arrêté et fusillé. Un isolement long et éprouvant qui n‘est pas sans avoir de répercussions sur l’équilibre du couple qui se dispute de plus en plus. Louise propose alors à Paul de se déguiser en femme pour pouvoir sortir, prendre l’air et retrouver une vie normale sans savoir que son mari va un peu trop se prendre au jeu et petit à petit se transformer en vrai travesti et devenir la reine de la nuit du bois de Boulogne…
Une histoire qui bouscule d’autant plus qu’elle est vraie ! Cruchaudet l’ayant découverte dans un livre (“La garçonne et l’assassin”) écrit par 2 historiens (Voldman et Virgili) qui y ont retracé, à partir d’archives, le destin du couple Paul/Louise. Mais au-delà du côté insolite de l’histoire, ce qui intéresse ici l’auteur, et qu’elle a à merveille exploré dans son récit d’ailleurs, c’est bien sûr le personnage de Paul et les questions qui l’entourent : comment les circonstances (l’expérience de la guerre a certainement eu une influence), ce qui n’était au départ qu’un stratagème, presqu’un jeu, et la compassion, l’amour de sa femme ont influé sur sa personnalité et ont pu amener progressivement ces changements profonds en lui jusqu’à le métamorphoser totalement ? Mais aussi sa relation avec Louise, qui, jusqu’au dernier moment, est restée à ses côtés, se montrant exceptionnellement compréhensive et patiente pour le bien de son mari.
C’est simple : “Mauvais genre” est un petit chef d’œuvre de subtilité et d’émotion (il capte notamment avec une rare justesse le côté torturé de Paul), superbement mis en images (le trait, direct et spontané, saisit à merveille expressions et sentiments tandis qu’aplats charbonneux et lavis de gris rendent parfaitement les ambiances du Paris du début XXe siècle). Une superbe réflexion sur la complexité de la sexualité et de la personnalité humaines. A ne surtout pas manquer !