ROMAN. A force de lire des romans policiers, Antoine sait reconnaître un plan parfait quand on lui en présente un. Et celui de Canard, son pote qui bosse dans une maison de santé haut de gamme pas loin de Cussingeac, en est un, c’est sûr. Du genre à rapporter quelques millions d’euros sans grands risques et sans tirer un coup de feu. Sortir Julien Dastry de la maison de santé pour quelques heures et le faire passer pour son frère jumeau milliardaire Thibaut afin de retirer une grosse somme à sa banque de Genève : Canard avait vraiment fait fort ! Mais pour ce coup du siècle, il faut être trois, alors Antoine a pensé à Jean-Jacques, qui est au RSA comme lui et qu’il héberge dans son mobile home depuis qu’il s’est fait plaquer par Birgit qui l’entretenait depuis pas mal d’années…
Après le remarqué Torrentius (paru en 2019), Colin Thibert a visiblement eu envie de quelque chose de plus léger, une sorte de récréation littéraire, avec Mon frère, ce zéro. Avec, au cœur du récit, ce plan parfait qui, vous vous en doutez, ne va, bien sûr , pas se passer comme prévu, les différents membres de cette équipe de bras cassés (Canard a fait quelques séjours en hôpital psychiatrique et prend encore des cachetons, Jean-Jacques s’est lancé dans l’aventure en ayant en tête de doubler ses deux acolytes dés qu’il le peut et Antoine, en bon activiste écolo, veut que le plan soit en accord avec ses principes…) alignant les bourdes en cours de route mais aussi les cadavres….Une aubaine pour ceux (et il y en a quelques uns…) qui croisent leur route et qui voient, eux aussi, en Julien Dastry, la possibilité de devenir riche sans trop d’efforts…
Alors, bien sûr, Mon frère, ce zéro, avec ces pieds nickelés modernes, a un air de déjà lu mais Colin Thibert renouvelle le genre avec talent et gourmandise, ponctuant le récit de scènes improbables et d’autres rebondissements inattendus, dans un style pince sans rire réjouissant qui épingle aussi bien les rebelles gauchistes comme Jean-Jacques qui vivent aux crochets de leur femme aisée que les milliardaires néo-libéraux comme Dastry, qui ne s’aperçoivent pas qu’il leur manque 20 ou 30 millions sur l’un de leurs nombreux comptes tout en jouant volontiers avec la langue. Comment, par exemple, résister à ce genre de juxtaposition hilarante : “Les lèvres de Jocelyne Favraud, tendrement gonflées, formèrent un “fait chier !” tandis qu’elle tentait de rassembler ses esprits et son sein droit, qui persistait à s’échapper du décolleté de la nuisette”. Un très bon moment de lecture assuré !
(240 pages – Editions Héloïse d’Ormesson)