Werner est revenu des tranchées. Mais la guerre l’a salement amoché. Physiquement (il a été blessé à la poitrine, près du cœur) mais surtout psychologiquement (il se sent coupable de la mort de son copain Georg qui avait une femme et 2 enfants). Convaincu qu’il ne trouvera la rédemption que s’il parvient à fonder une famille, comme Georg, il part en Indochine, dans un monde neuf pour lui. Mais rejeté par les colons, il trouve refuge dans une forteresse tenue par des chinois autoritaires qui font trimer des ouvriers au regard vide pour s’enrichir. Nul ne connaît la famille qui possède ces lieux (ils ne sortent que rarement de leur palais) mais il court d’étranges rumeurs à leur sujet. Leur fille unique, très belle, serait par exemple atteinte d’une maladie rare et ne pourrait sortir de sa chambre qu’à la nuit tombée. Intrigué, Werner quitte son appentis, le soir venu, pour aller se promener dans le jardin…
Ouvrir ce livre de Loo Hui Phang revient à accepter d’entrer dans un univers mystérieux et imprévisible, où les codes habituels de la bd n’ont pas cours. Un monde teinté d’onirisme et de fantastique qui s’adresse davantage à notre inconscient et à nos fantasmes car Nuages et pluie a des allures de conte. Un conte étrange et sensuel où l’on rencontre des femmes vampires et des hommes zombies sans volonté. Un conte où il est question de blessures qui ne cicatrisent pas, de la vanité de la séduction, de désir, d’amour qui peut être destructeur, de sexe aussi. Un conte idéalement mis en images par le dessin poétique de Dupuy qui fait converser morts et vivants ou donne des allures parfaitement ensorcelantes à cette fille unique. Un conte qu’il faut laisser vous happer, sans trop résister, envoûtés, sans demander qu’il réponde à toutes vos questions. Un très beau récit, sombre et effrayant, qui nous emmène dans des endroits rarement fréquentés par la bd. Mais avec Loo Hui Phang, on est habitués !
(Récit complet – Futuropolis)