Ce mercredi soir d’avril, la France choisissait son camp. Pendant qu’un grand nombre de citoyens restait planté devant la messe télévisée du grand débat, un petit camp de privilégiés profitait de la venue de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp pour s’encanailler à Petit Bain*.
En première partie, le duo français Rhume. Je laisse la parole à mon amie Heidi, avec qui je suis venu au concert :
“On pourrait y voir des Léo Ferré des temps moderne. Ou, à y regarder de plus près, deux frères Dalton. Mais au fil des morceaux se déroule une bobine de brins entremêlés. Entre Asterotypie et Ventre de Biche (ou entre Didier Super et Diabologum), à quelques encablures d’une Sophie Calle désintellectualisée et de mon pote bourré.
Ça tangue, autour de tranches de vies qui feraient rougir d’ennui les premiers épisodes de feu Strip Tease. En apothéose, quelques envolées époque Capitaine Flamme. En invité VIP, on suit à la trace un moine chaussé de sandale, un chirurgien acharné et une mamie quasi empaillée. Ça parle de crête, de chignon et de fromage de tête. Ça transe ou ça lasse. Mais avec eux, au moins, la bamboche n’est pas terminée.”
Pause. La vraie raison de notre venue s’installe maintenant. Il faut imaginer douze musicien.es sur la petite scène de Petit Bain. Il reste peu d’espace vide, mais le groupe, que dis-je, l’orchestre, semble réparti de manière précise, maline. Vincent Bertholet, le compositeur-organisateur-contrebassiste de la troupe, supervise au fond à droite, comme souvent. Dans cet ensemble hétéroclite, les cheveux raides se mélangent aux chevelures bouclées, comme les rockers cohabitent avec les jazzeux, et les guitares électriques avec les violons et les marimbas. Cette grande foire s’imbrique parfaitement, laissant s’évader une musique pleine de grâce et de folie. La technique, pourtant si présente, disparait au profit de la danse, et de la communion. Les morceaux sont millimétrés et pourtant si organiques (la quasi totalité du dernier album y passe, ainsi que quelques tubes du précédent). Les groupes punk The Ex et Dog Faced Hermans ont définitivement fait des petits qui volent maintenant bien loin de leurs maîtres. Serait-ce un Brass Band de la Nouvelle Orléans ? Un souvenir des Anglais de Spaceheads (dans lequel Vincent a joué) qui aimaient s’amuser avec le groove comme cet orchestre-là ? Du post-punk ? Du jazz dada-iste ? C’est surtout loin des étiquettes que ceux là s’épanouissent. Prenant la beauté là où elle se trouve, invoquant parfois Steve Reich et glorifiant la force du collectif. Les chants féminins nous transportent, sublimes, quand les vocaux plus martiaux des hommes nous galvanisent. Le public ne s’y trompe pas, petit à petit tout le monde ondule, déhanche, et se met à danser. Pas facile pour les rockers parisiens, mais OTPMD a l’habitude. Leur musique s’envole et s’épanouit, plus encore que sur disque. Personne ne résiste à cette déferlante aussi énergique que réconfortante. Merci mille fois à Petit Bain et à ces cousins éloignés de Marcel Duchamp pour ce moment si chaleureux et tellement humain, évitant tous les pièges du genre. Définitivement Tout Puissant !
*soyons honnêtes, d’autres privilégiés auront eu la bonne idée de passer la soirée avec Seb and the Radicks au Chair de Poule, et cela devait être tout aussi passionnant.