BD. Joe Sacco revient avec un nouveau reportage ! A la demande de la revue XXI, il est allé à la rencontre des Dene, un peuple autochtone qui vit dans les Territoires du Nord-Ouest, au Canada. Comme à son habitude, il a pris le temps de rencontrer les gens pour discuter avec eux. Il est allé à des tournois de jeux de mains pour s’imprégner de la culture et des traditions des Amérindiens. Il s’est replongé dans l’Histoire de la colonisation du Canada et a relu les traités (le traité 8 signé en 1899 et 1900 et le traité 11 signé en 1921) signés par les anciens chefs Dene qui cédèrent de ce fait les terres de leurs tribus contre 5 dollars annuels pour chaque membre de leur communauté plus quelques outils et des médailles…Il s’est aussi penché sur la politique colonisatrice du Canada. Et le constat est sans appel et rejoint la conclusion du président de la Commission de vérité et réconciliation qui a déclaré, à l’issue d’une longue enquête, en 2015, que « le gouvernement canadien et les Eglises s’étaient rendus coupables de génocide culturel ». Rapidement, la politique canadienne a en effet simplement consisté à assimiler, par la loi, les Amérindiens à la culture blanche. D’abord, en créant les pensionnats religieux (un système qui a duré 150 ans et est devenu obligatoire en 1920 sous peine de sanctions pour les parents : confiscation de biens, de leurs pièges pour chasser voire de prison…) pour les enfants autochtones afin de les séparer de leurs parents et de la terre, l’élément essentiel de leur culture. Des écoles où on leur interdisait de parler leur langue, où on les obligeait à prier Dieu et où on leur faisait comprendre qu’ils n’étaient pas assez bons et qu’ils devaient changer. Inutile de dire que brimades physiques et violences sexuelles y étaient courantes…Et, plus tard, en incitant (en leur construisant des logements et en leur apportant une aide financière, les rendant ainsi dépendants…) les autochtones à quitter la forêt, où ils vivaient traditionnellement de la chasse, de la pêche et de la cueillette, en osmose avec la nature, pour vivre en ville et y scolariser leurs enfants. Voilà qui explique la situation catastrophique des Dene actuellement : un peuple à la dérive, qui a perdu son identité et qui fait face à de graves problèmes d’alcool et de drogue ainsi que de maltraitances physiques et d’abus sexuels (le taux d’agressions sexuelles est plus de 5 fois supérieur à la moyenne nationale dans les Territoires du Nord-Ouest. Et on ne parle pas du taux de suicide…), beaucoup de parents reproduisant ce qu’ils ont vécu dans les pensionnats… Et une jeunesse désœuvrée qui rejette les traditions de son peuple et ne prend que le pire de la civilisation de l’homme blanc.
Joe Sacco livre un magnifique portrait (son dessin -entièrement en noir et blanc et à l’ancienne : chaque motif de vêtement, chaque ombre est réalisé au crayon!- est d’une précision impressionnante et aboutit à des portraits saisissants, criant de vérité) de ces communautés autochtones. Inquiétant, c’est vrai, mais non dénué d’optimisme quant à l’avenir. En mettant en images, dans le dernier chapitre, sa rencontre avec de jeunes Dene qui se réunissent régulièrement et rencontrent les anciens de leur clan pour décider du combat politique à mener (notamment en défendant leurs terres contre les spéculateurs pétroliers et gaziers qui veulent faire main basse sur les réserves d’hydrocarbures que contiennent les sous-sols en utilisant la technique très décriée, car très polluante, de fracturation hydraulique) pour que leur peuple aille de nouveau de l’avant, l’auteur montre que les Dene ont encore des ressources et n’ont pas abdiqué face au gouvernement fédéral canadien et aux grandes entreprises pétrolières. Un reportage marquant !
(Reportage complet, 272 pages – Futuropolis et XXI)