Petit-fils et fils de pieds-noirs, Joël Alessandra a bien sûr beaucoup entendu parler de l’Algérie et de Constantine. Gamin, il entendait son grand-père Corrado s’emporter contre de Gaulle, le traitre, à la télé ou parler arabe chez l’épicier du coin, à Paris. Il a vu beaucoup de photos de là-bas, de la maison familiale mais aussi des édifices (le cinéma ABC, un hôtel, des immeubles) construits par son grand-père et ses frères. Car les Alessandra étaient connus pour être de bons architectes, entrepreneurs et bâtisseurs. Pourtant, il n’a jamais mis les pieds en Algérie. Par peur, peut-être, de se confronter à l’histoire familiale et de découvrir des choses peu reluisantes sur ses aïeux. Les Alessandra ont bien réussi là-bas alors peut-être étaient-ils des profiteurs, des racistes voire des fascistes ayant frayé avec l’OAS… ? Mais quand, à plus de 40 ans, l’institut français l’invite à venir à Constantine, l’auteur accepte de s’y rendre. Il a des enfants, maintenant, et doit leur transmettre l’héritage de sa famille qui avait fui la misère de la Sicile pour venir trouver du travail en Algérie…
C’est ce voyage que l’auteur raconte. Ou plutôt ces voyages. Car il y a bien sûr, on l’a dit, le voyage généalogique puisque l’auteur part sur les traces de son passé familial, parsemant le récit des photos d’époque qui lui servent de point de départ. Mais il y a aussi le voyage dans l’Histoire de notre pays car si sa famille a quitté, contrainte et forcée, l’Algérie en 1962, c’est bien à cause de la guerre d’indépendance qui a enflammé la région après la seconde guerre mondiale. Enfin, c’est un voyage touristique, Alessandra se laissant guider dans la ville par Lokmane Benchikh-Lehocine, un écrivain que le directeur de l’institut français lui a présenté, qui lui fait découvrir son Algérie, forcément authentique.
On a beaucoup aimé ce récit atypique et hybride (notamment au niveau graphique puisque l’auteur mélange bd, photos ou autres documents et paysages pleine page, superbes, à l’aquarelle) qui mêle histoire de famille et grande Histoire pour une quête touchante et sincère de son auteur qui partage avec nous ses peurs (l’ombre du FIS et de ses exactions terroristes planaient encore quand il s’est rendu dans le pays), ses doutes (au sujet de ses aïeux et de leur moralité) ou ses joies (notamment quand il rencontre Nadia, la sœur de lait de son père, qui vit toujours dans la maison de famille). Un très beau livre.
(Roman graphique – Casterman)