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PHILIPPE SQARZONI, une colère positive

Qui plus que Philou, alias Philippe Squarzoni, avait sa place ici ? A la fin des années 90, Philou collabora régulièrement à la version papier de Positive Rage, signant quelques articles politiques et offrant quelques illustrations (dont on en retrouve encore une sur la page d’accueil de ce site). Depuis, Philippe Squarzoni s’est investi dans le monde de la bande dessinée avec talent, rencontrant un certain succès. C’est donc avec un grand plaisir que nous l’accueillons à nouveau sur ce site pour mieux appréhender son travail.

De “Year 506” (bd/cd réalisée en collaboration avec Happy Anger) à “Zapata en temps de guerre” en passant par “Dol”, Philippe Squarzoni (que certains connaissent mieux sous le nom de Philou) a déjà à son actif bon nombre de récits d’intervention politique qui ont contribué, avec les œuvres de quelques autres auteurs comme Davodeau ou Sacco, à combler un manque évident en bande dessinée. Pourtant, ses deux derniers livres, “Un après-midi un peu couvert” (chez Delcourt) et “Portrait en pin, en sucre de pastèque et en pierres de Richard Brautigan” (chez Les rêveurs) dévoilent d’autres facettes de sa personnalité artistique.
L’occasion était donc belle de poser quelques questions à notre homme via internet.

Peux-tu nous parler de “Un après-midi un peu couvert” ? On y découvre une facette différente de toi. J’imagine que sortir ce genre de livre est aussi une façon de montrer que tu n’es pas qu’un auteur politique…
Oui, c’est vrai qu’Un après-midi un peu couvert est assez différent des livres plus politiques que j’ai pu faire. C’est une sorte de ballade, un album un peu doux et un peu triste. Mais ça n’est pas lié à la volonté de montrer un truc ou une autre facette. J’ai simplement eu envie de faire cet album là. Quand je commence à travailler sur un livre, je me pose plus la question de savoir comment le réussir (ce qui n’est pas automatique) que de savoir s’il va servir la réputation de son auteur.

Il est difficile de s’empêcher de penser, surtout lorsqu’on voit le caractère très personnel de tes récits, que “Un après-midi un peu couvert” est en partie autobiographique. Cette œuvre était-elle aussi une façon de faire le point sur toi-même et sur la paternité ?
Non, pas du tout. L’idée de départ était de faire une variation sur le thème de Peter Pan. Cette idée m’était venue à l’écoute d’une série de reportages radio consacrés aux différentes îles des côtes françaises. Et puis la balle a rebondi, des îles réelles à l’Ile Imaginaire, et au voyage de Peter Pan. J’ai donc construit mon histoire, et mes personnages, en fonction des thématiques appelées par le livre, pas des questions qui me tripotent. En l’occurrence, je me suis concentré sur la question du passage à l’âge adulte, appréhendée sous l’angle de la prise de parole (l’étymologie du mot enfant, infans en latin, signifie celui qui ne parle pas). Alors Pierre, mon avatar de Peter Pan, est un jeune type bien de son temps, qui a probablement voté Sarkozy sans trop savoir pourquoi, qui passe son temps sur internet quand il n’a pas l’oreille collée à son portable, et qui porte une casquette. Ca nous fait peu de points communs. Par ailleurs je n’aime pas trop les enfants…

Certaines personnes ont peut-être été surprises de voir que ce livre est sorti chez Delcourt, un gros éditeur. Comment t’es-tu retrouvé chez eux ? Y as-tu eu la même liberté que chez Les requins marteaux ? Voulais-tu t’ouvrir à un public différent et plus large en sortant un livre chez eux ?
Il y a plusieurs choses qui ont joué. D’abord cet album est plus classique dans la forme, en tout cas l’élaboration formelle y est plus « discrète » que dans mes précédents livres. C’est un livre qui me semblait correspondre assez peu au catalogue des Requins Marteaux. Ensuite les choses ont beaucoup changé chez les Requins depuis qu’ils ont commencé à publier mes premiers bouquins il y a quelques années, et ces derniers temps nous n’étions pas au mieux de notre collaboration.

En septembre est également sorti “Portrait en pin, sucre de pastèque et en pierres de Richard Brautigan” chez les rêveurs (lire la chronique). Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire ce portrait de l’auteur américain. Vers quoi voulais-tu aller pour ce portrait ?
L’envie m’est venue à la relecture d’une préface écrite par Marc Chénetier pour le premier tome d’un intégrale de Brautigan chez Christian Bourgois. J’avais lu la préface, puis les trois livres contenus dans le tome, et puis j’ai relu la préface… et d’un coup la possibilité d’en faire un petit portrait m’a semblé évidente. Bien entendu Brautigan est un de mes écrivains préférés, et c’est quelque chose d’important dans l’envie de faire ce portrait. Mais c’est vrai que plus que tout c’est la préface de Chénetier qui a été décisive. C’est ce texte que je voulais adapter.
J’ai donc demandé l’autorisation à Marc Chénetier, qui est le traducteur de la plupart des livres de Brautigan en France, d’adapter son texte, je lui ai soumis au fur et à mesure les avancées du livre. Christian Bourgois nous a donné l’autorisation de l’utiliser. Et Nicolas Lebedel, des Rêveurs, qui est aussi amateur de Brautigan, a tout de suite accepté de le publier.

Au sujet de Brautigan, as-tu lu la trilogie “Holly Dolly”, adaptation en bd du “Monstre des Hawkline” par Dumontheuil, sortie chez Futuropolis ?
Non, je n’ai pas lu ce travail. Mais on m’en a dit beaucoup de bien.

Dans tes livres politiques, j’imagine que la principale difficulté est narrative car tu dois mettre en scène des idées (parfois abstraites), des chiffres, des évènements. Cela doit te prendre beaucoup de temps pour trouver la bonne image, le bon graphisme…Peux-tu nous en dire un peu plus sur ta façon de travailler ?
En fait la principale difficulté pour moi dans ces livres vient juste avant la phase que tu décris. Je fais un gros travail de documentation, de lectures en amont, pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Et ensuite il faut organiser cette masse d’informations énorme mais informe, et classer son contenu. C’est la période que Billy Wilder décrit comme celle « du sang, de la sueur et des larmes ». Et c’est dans cette phase que j’ai la tête qui fatigue et donne des signes de faiblesse. Mais une fois la question du fond résolue, la période de la mise en forme, c’est à dire l’élaboration du système narratif, est celle qui m’intéresse le plus. Elle n’est pas facile non plus, mais c’est la phase du travail que je préfère, et celle à laquelle je trouve le plus de plaisir. Puis vient le moment le plus con, c’est la phase du dessin. Là je passe en mode corvée, et je fais des traits sur des feuilles pendant des mois.

On se souvient de ta charge contre l’ultralibéralisme dans le diptyque “Zapata/Garduno”. Ce récit était quelque part prémonitoire car cela ne s’est pas arrangé depuis, notamment avec l’affaire société générale et la crise financière actuelle….
Oui, bon c’est facile de jouer rétrospectivement les prophètes, et de dire « on vous l’avait bien dit… » mais c’est vrai qu’on entend maintenant des considérations sur les dangers de la spéculation financière, sur l’interdiction des paradis fiscaux… qui ressemblent aux analyses que faisait Attac il y a dix ans. Le plus amer là-dedans c’est le coût social et humain de cette démonstration par l’exemple. Il y a des fois où on souhaiterait avoir gagné avant que l’adversaire n’ait perdu.

Dans “Garduno, en temps de paix”, tu étais assez optimiste quant aux actions d’Attac. Fais-tu encore partie de cette association et où en est-elle actuellement ? Quelles sont les pistes désormais suivies pour changer le système ?
Je crois que la question climatique (et environnementale de façon plus large), qui n’est pas récente mais qui s’impose avec une urgence nouvelle, constitue le plus gros enjeu. Ca pose des questions majeures au corpus d’idées de la gauche, comme à l’ensemble du système politique. Et le défi va être d’apporter des réponses capables de surpasser les faiblesses intrinsèques du « capitalisme vert » qui émerge.

A part Davodeau, il y a finalement assez peu d’auteurs de bd engagés. Comment peut-on l’expliquer ?
Il y a probablement plusieurs raisons. D’abord la bande dessinée est, comme l’ensemble de la production artistique d’une époque, le reflet d’une société à un moment et dans un pays donnés. Qui avons-nous choisi comme président ? Un candidat qui s’est précipité pour serrer la main à l’inventeur de Guantanamo et Abu-Graïb. Alors effectivement la bande dessinée en France aujourd’hui est essentiellement adulescente, égocentrée, et déconnectée des questions de société. Mais comme une grande partie de la littérature ou du cinéma français actuellement. Au même moment les Etats-Unis (dans les limites du champ idéologique américain) ont un cinéma, une littérature, et une bande dessinée, beaucoup plus ancrés dans les grands enjeux politiques de leur pays. Y compris dans le comics de super-héros qui traverse en ce moment une phase passionnante de son histoire.
Et puis il y a aussi la relative immaturité de la bande dessinée qui est un mode d’expression jeune, et qui n’a pas encore réglé certaines questions que les autres formes artistiques ne se posent même plus. Dans les années 30 le cinéma s’est posé la question de savoir s’il était un art, un divertissement, ou une industrie. Et s’il pouvait être politique. Et Chaplin a résolu la question en prouvant qu’il pouvait être tout cela à la fois. Mais dans la bande dessinée en France aujourd’hui, il y a encore des gens qui pensent que la politique c’est sale…
Et puis enfin il y l’émergence de cette « nouvelle bande dessinée d’auteurs », encore plus adolescente et superficielle, que la bande dessinée de divertissement n’avait pu l’être. C’est le grand paradoxe de cette « bande dessinée du réel » : plus elle est « du réel », plus elle est frivole. Plus elle est « du réel » et moins on y parle de la mort, de la maladie, ou de l’argent. C’est un peu comme pour la chanson française, le truc à la Bénabar et Delerm, mais en bédé.
Et les journalistes sont absolument enthousiastes pour ces créateurs trentenaires qui racontent Goldorak et l’odeur de la colle Cléopatra au moment où les grandes démocraties occidentales envahissent et dévastent un pays du Moyen Orient.

Quels sont les auteurs de bd actuels que tu trouves intéressants et dont tu te sens proche artistiquement ?
Ce n’est pas la même chose. Alan Moore, Fabrice Neaud, Brian Michael Bendis font un travail que je trouve passionnant. Mais je n’oserai pas dire que je me sens proche d’eux artistiquement. Certains jours, artistiquement, je me sens proche d’une merde.

Peux-tu nous dire quelques mots sur tes prochains récits ?
Je suis en train de travailler sur un nouvel album d’intervention politique, qui sera consacré au changement climatique justement. Et j’en suis précisément à la phase que j’évoquais tout à l’heure, et qui me pose problème : l’organisation du bordel.

Il y a quelques années, tu t’étais également exprimé au travers d’un roman (“Sansnom”, chez Les 7 piliers), plutôt singulier d’ailleurs. Est-ce une forme d’écriture que tu as abandonné définitivement ou penses-tu y revenir plus tard ? Pourquoi as-tu privilégié la bd depuis quelques années ?
Non, je fais les choses comme je peux. Et elles me prennent du temps à chaque fois. Si j’avais un clone je pourrais probablement lui demander de consacrer quelques minutes à réfléchir s’il a envie ou pas d’écrire un roman… Mais en fait non, je le mettrai à dessiner mon prochain album, et ça m’épargnerait la corvée.

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