[Rencontre] Inattendue (tout en l’espérant on ne l’attendait plus vraiment…), la reformation de Quicksand a été l’un des événements musicaux importants de ces dernières années. Car le groupe américain avait marqué de son empreinte post-hardcore les années 90, notamment avec le génial Slip, sorti en 1993 chez Polydor. Mais aussi parce que les 2 albums sortis depuis, Interiors, en 2017 et Distant Populations cette année, sont tout simplement très bons. La tentation de parler de tout cela avec Walter Schreifels, véritable figure du hardcore new-yorkais (il a aussi fait ou fait encore partie des légendaires Youth Of Today ou Gorilla Biscuits, entre autres…), était grande, vous vous en doutez. On imaginait plutôt une interview via zoom, histoire d’avoir le temps de vraiment discuter. Le leader du groupe a préféré réagir à nos questions par mail, ce qui explique le côté parfois un peu succinct de certaines réponses. On prend quand même…
Comment avez-vous vécu cette période de pandémie, et surtout de confinement, en tant que groupe ?
On a eu la chance d’avoir terminé la plupart des morceaux de Distant Populations avant que la pandémie ne commence, on a donc eu du temps pour écouter les mixs et s’occuper de l’artwork. En fait, je crois que cela nous a permis d’être plus concentré sur l’album, ce qui est cool…
Difficile de ne pas parler de votre reformation… Comment cela s’est passé exactement ? Pourquoi à ce moment-là ?
A la base on s’est retrouvés pour faire une surprise lors de la soirée anniversaire de notre maison de disques originel. L’énergie était si super que nous nous sommes dits qu’il fallait que l’on fasse quelque chose de ça. On a pris notre temps pour revenir mais cela valait la peine.
Plus de 20 ans après, comprends-tu pourquoi le groupe avait splitté ?
De mon point de vue, on avait tellement tourné que l’on était exténué. Peut-être que si on avait fait une pause au lieu de se séparer les choses auraient été différentes mais je suis heureux de la façon dont tout cela a finalement tourné et d’avoir cette opportunité d’être ensemble de nouveau.

Parlons un peu du nouvel album. J’ai lu que vous aviez trouvé plus facile de composer pour Distant Populations que pour Interiors, l’album de votre come-back… Parce qu’il y avait moins de pression car c’était votre deuxième album après votre retour ?
Je pense que l’on était plus concentré et avons mieux compris ce que nous voulions exactement alors qu’avec Interiors on était juste heureux de faire de la musique ensemble de nouveau. La pression était différente mais la pression peut de toutes façons être quelque chose de sain pour un groupe.
Est-ce que cela veut dire que vous avez mis beaucoup de temps pour composer Interiors ? Avez-vous par exemple mis de côté pas mal de chansons car vous pensiez qu’elles n’étaient pas assez bonnes pour un nouvel album de Quicksand si longtemps sans avoir rien sorti?
Oui et non. En fait cela nous a surtout pris pas mal de temps pour nous mettre vraiment à la composition d’un nouvel album. Mais une fois qu’on l’a fait les morceaux ont pris corps relativement vite.
Je trouve qu’il y a un très bon équilibre entre chansons directes comme Inversion et Colossus et d’autres, peut-être plus subtiles, comme Phase 90, Rodan et bien sûr Brushed… Etait-ce l’un des buts recherchés sur ce nouvel album ?
Merci. Je suppose qu’une fois que tu as une chanson d’un certain caractère tu commences à vouloir une chanson qui contrastera avec celle-ci. Au bout du compte, c’est cet équilibre, cette variété qui fait qu’un album est intéressant dans sa globalité.
Le titre, Distant Populations, peut avoir un double sens, je trouve : il peut faire référence, bien sûr, au confinement et au fait que les gens ne pouvaient pas se voir pendant quelque temps mais cela peut aussi renvoyer au fait qu’en ce moment beaucoup de pays (on pourrait mentionner la Grande-Bretagne qui a décidé de sortir de l’Union européenne ou la construction du mur par Trump à la frontière avec le Mexique…) et de gens ont tendance à se replier sur eux-mêmes…
Je crois que le sentiment d’isolation est quelque chose de mondial. Je pense qu’internet est responsable de cet état de fait mais c’est complexe. Il y a un prix à payer pour cette croissance économique constante et cette volonté d’individualisme, que j’associe aux réseaux sociaux. Les gens se voient comme une marque, ce qui n’est pas vraiment sain.
L’artwork de Distant Populations est très différent de celui de vos albums précédents. Peux-tu nous en dire plus sur ce que vous recherchiez et sur son auteur, Tawaraya ?
J’adore le travail de Tawaraya. Il est très imaginatif, détaillé et j’aime beaucoup sa palette de couleurs. Nous voulions projeter un univers alternatif sur notre musique. Je pense que la musique peut être quelque chose de sérieux mais devrait aussi proposer une échappatoire.

Que peux-tu nous dire des session d’enregistrement ? Vous avez de nouveau travaillé avec Will Yip…
On adore travailler avec Will. Il est en train de devenir comme un membre supplémentaire du groupe. Il est très créatif, il nous encourage et nous soutient beaucoup pendant l’enregistrement : c’est un producteur idéal, selon moi. On s’est vraiment amusés lors des sessions tout en tant très concentrés.
On sait, Walter, que tu as déjà produit des albums d’autres groupes. Du coup, n’aimerais-tu pas produire un album de Quicksand un jour ?
En tant que chanteur et guitariste, je ressens vraiment le soutien des autres membres du groupe et je suis heureux d’avoir cette force supplémentaire qui apporte en plus une perspective extérieure plutôt que d’endosser la responsabilité d’être producteur.
Etes-vous le genre de groupes qui aime que les morceaux soient complètement finalisés avant de rentrer en studio ou au contraire aimez-vous garder les morceaux ouverts jusqu’au dernier moment pour les finir en studio ? Si c’est le cas, quelles chansons ont été terminées en studio ?
Certaines chansons étaient quasiment finies, d’autres ont pris forme en studio. J’aime la combinaison des deux : être prêts tout en laissant la place à la spontanéité…
L’une de mes chansons préférées sur le nouvel album est Missile Command. Pourrais-tu nous en dire un peu plus sur la façon dont elle a été composée et sur ses paroles ?
Cette chanson a été assemblée en studio. J’avais le titre mais aucune idée de quoi les paroles parleraient. J’ai dû creuser dans le vieux subconscient pour trouver une narration. Par certains aspects elle est similaire à notre chanson Landmine Spring. La vie t’envoie des surprises : parfois elles ont une apparence dangereuse mais la façon dont tu les abordes peut t’aider à comprendre de quoi tu es fait…
Quelle a été la chanson la plus dure à finaliser sur ce nouvel album ?
Peut-être Brushed. Parce qu’elle a une énergie plus subtile, je ne pouvais pas juste crier dessus tout du long. Je devais la chanter et les paroles étaient importantes. Je pense que c’était plus un challenge que vraiment difficile néanmoins. C’est aussi l’une des chansons dont je suis le plus satisfait.
Comme nous parlons des paroles, peux-tu nous dire comment tu procèdes : as-tu besoin que la musique soit composée pour ressentir l’ambiance des morceaux et commencer à écrire les paroles ou écris-tu des idées régulièrement, quand tu te sens inspiré, dans un carnet ?
En effet, j’écris des bouts de phrases qui me viennent comme chair pour de futures chansons. C’est la partie la plus difficile de l’écriture des morceaux pour moi mais à force d’être plongé dedans les mots et les mélodies commencent à se mettre en place et à faire sens, souvent de façon surprenante…
Sur les deux derniers albums, ta façon de chanter est différente. Tu sembles plus serein qu’auparavant, ton chant est plus mélodieux aussi. Etait-ce un choix de ta part ou simplement une évolution naturelle ?
C’est une évolution naturelle : dans les débuts de Quicksand, mon instinct me poussait à mettre le curseur sur 10 tout le temps et c’était super mais avec le temps j’ai élargi ma palette. Je veux toujours créer de la puissance mais d’une façon qui reflète ce que je ressens maintenant. Le chant est une chose qui est en constante évolution.
Je trouve que Brushed est un peu le symbole du nouveau Quicksand : j’ai le sentiment que ce morceau n’aurait pas pu apparaître sur un album de Quicksand dans les années 90… Es-tu d’accord ?
Merci ! Je suis très heureux de ce que l’on a réussi à faire avec Brushed. Cela nous donne clairement de l’espace pour explorer davantage de terrain musical. Même si je suis très fier de nos premiers enregistrements car on se poussait mutuellement à aller de l’avant. Cela reste notre attitude aujourd’hui d’ailleurs.

Cela fait 10 ans que Sergio Vega joue avec Deftones maintenant. De quelle façon cette expérience influence-t-elle Quicksand et votre musique ?
C’est super. Sergio s’est tellement développé en tant que musicien toutes ces années et jouer avec Deftones est partie prenante de cela. Il a réellement beaucoup apporté au son de Deftones et en même temps c’est une force qu’il a amené dans Quicksand.
Qu’avez-vous ressenti quand vous êtes montés sur scène de nouveau à Boston fin septembre ? Avez-vous pris plus de plaisir que d’habitude à cause de la parenthèse Covid ?
C’était un sentiment fantastique, particulièrement car Steve Brodsky nous a rejoint comme seconde guitare. C’était extraordinaire de jouer la totalité de l’album aux côtés de morceaux plus anciens et de faire sonner le tout de façon aussi satisfaisante. C’était clairement un vrai plaisir de retrouver la scène après si longtemps !
Ici en Europe on est impatiens de savoir si vous allez faire une tournée de ce côté de l’Atlantique…
On est en train de travailler sur une tournée. Dès que les choses seront confirmées, on les annoncera. On est très excités de revenir en Europe !
Tu en as parlé : Steve Brodsky a joué avec vous sur la tournée américaine en septembre/octobre. Pourquoi l’avoir choisi lui et a-t-il joué lead ou seconde guitare ?
On est très heureux d’avoir eu Steve avec nous sur cette tournée. On est amis depuis des années. Non seulement il a trouvé sa place très vite mais en plus il a beaucoup apporté aux concerts. J’adore jouer guitare lead et je peux me charger des solos mais cela n’est pas ma force naturelle. Alors que pour Steve c’est une seconde nature. J’ai simplement adoré lui répondre et l’écouter tout démolir.
Tu es quand même chanceux Walter. En plus du come-back réussi de Quicksand tu joues aussi occasionnellement avec l’un de tes autres groupes iconiques, Youth Of Today. Qu’est-ce que tu ressens quand tu joues aux côtés de Ray Cappo et des autres membres du groupe ? En quoi est-ce différent de quand tu joues avec Quicksand ?
Avec Youth Of Today, c’est super d’être le bassiste. C’est un rôle crucial et je donne tout ce que j’ai mais j’apprécie aussi le fait de ne pas avoir la pression d’être en première position sur scène. Ray est l’ultime forme à ce niveau-là. Youth Of Today me permet d’incarner la puissance d’un super message allié à des super parties mosh. C’est génial.
Il est difficile de ne pas parler de la situation politique aux Etats-Unis…J’imagine que cela doit être un soulagement depuis que Joe Biden a remplacé Trump à la maison blanche…
C’est évidemment un soulagement d’avoir Biden comme président dans le sens où Trump divisait tellement les gens et vampirisait les médias. Mais malheureusement la plupart sinon tous les problèmes demeurent. Les Etats-Unis sont un pays où les problèmes sont profonds….