ROMAN. Peu de gens avaient vu la catastrophe venir, ce virus venu des anciens temps que la fonte du permafrost avait libéré puis la famine, l’égoïsme, la guerre nucléaire, et enfin le chaos et la fin du monde. Fred en faisait partie. Devenu millionnaire grâce à une idée que personne d’autre n’avait eu (vendre les données personnelles contenues par les GPS des voitures aux sociétés d’assurance et constructeurs…), le self-made man avait aussi eu rapidement l’intuition que dans ce monde instable, son rôle de père consistait avant tout à mettre sa famille en sécurité. Aussi acheta-t-il une petite île déserte dans l’Atlantique, y fit construire une maison et tout ce qu’il faut pour y vivre et y fit acheminer des stocks de nourriture et de boissons. Et quand la catastrophe commença, un avion l’emmena, avec Hélène, Alexandre et Jeanne, sur l’île (ça aussi, c’était dans le contrat…) où Ada et Marco, embauchés par Safety For Life et payés par Fred, les accueillirent. Ils étaient là pour cuisiner, faire le ménage, entretenir la maison…
Avec l’évolution que connaît notre planète, les récits apocalyptiques ont le vent en poupe ces derniers temps et ce n’est pas vraiment surprenant. Mais Rocky, dernier rivage n’est pas un roman survivaliste de plus. Cette catastrophe, si elle permet à l’auteur d’alerter sur notre inconséquence, sert avant tout de révélateur dans son scénario. Elle lui permet d’observer comment se comportent les humains quand il ne reste plus rien. Plus qu’eux, c’est-à-dire la famille de Fred, ainsi qu’Ada et Marco, leurs employés, sur une petite île. Des humains pas comme tout le monde : des humains nantis, qui vivaient dans l’opulence et qui sont tellement habitués à se faire servir qu’ils pensent que cela va continuer comme cela éternellement…Même quand les usages du monde d’avant et l’argent n’ont plus cours. Même quand Ida et Marco leur expliquent, que, n’étant plus payés, ils ne vont pas continuer à leur cuisiner leurs repas, à nettoyer leurs toilettes et à entretenir leur maison…Complètement perdue, la famille implose alors et ses différents membres vont réagir totalement différemment quand ils comprennent que ce qui les liait -une vie matérialiste, facile- n’était qu’artifice et illusion…
Un récit féroce (porté par un dispositif narratif particulier très vivant : le narrateur, omniscient, se focalise sur chacun des membres de la famille en alternance, tout en faisant des sauts dans le temps), teinté d’humour noir mordant (et on ne parle pas que de Rocky, que les membres de la famille de Fred doivent regarder puisque c’est le dernier film qui soit accessible sur le disque dur de leur ordinateur…), en forme de charge contre notre société consumériste, qui propose de faire table rase de nos désirs de matérialisme et de domination capitalistes pour retrouver l’essentiel : ce qui fait de nous des Hommes. Salutaire !
(Roman, 368 pages – Au Diable vauvert)