ROMAN. Cela fait quelque temps déjà que Donovan Donolly a décidé (décidé, vraiment ?) de se tenir à l’écart du monde et de son bruit. Pourtant, un matin, le vieil écrivain se met en route. Il prend un premier train puis un taxi pour monter à l’hôtel de Rouge Pierre, à Sacrement, dans les Vosges, où il compte séjourner quelques jours. A peine arrivé, le confinement est déclaré et le domaine de Rouge Pierre d’Alison Fater est sens dessus dessous : deux de ses chevaux viennent aussi d’être tués, comme d’autres ailleurs en France, par ces mystérieux mutileurs d’équidés. Dans les rares moments de calme ou lorsqu’il se repose dans sa chambre, Donolly se souvient. De sa rencontre avec Elvira, de leur amour insouciant, de la naissance de son fils, une évidence, Billy. De son “P’pa” et de sa “M’man”, Sean Donolly et Caprice Eluard, rencontrés au beau milieu de la mitraille de la guerre. De son enfance passée dans les Vosges. De monsieur Claude, le voisin grand-père. Des chats, toujours présents autour de lui. Des amis aussi. Pourtant, l’écrivain n‘est pas juste venu à Rouge Pierre pour se souvenir et écrire ses mémoires. Car c’est la présence d’Alison qu’il recherche visiblement…
Les écrivains aiment parfois glisser des clins d’œil à leur propre vie dans leurs romans. Dans Se Souvenir encore des orages, Pierre Pelot ne se contente pas de faire quelques références à la sienne : il instaure un étonnant jeu de miroirs entre fiction et réalité. Car à travers son alter ego fictionnel, Donovan Donolly (D.D.), écrivain et dessinateur tout comme lui, Piette Pelot (P.P.), se raconte aussi habilement. Revient sur ses bonheurs. Sa vision de la vie. Sa tragédie : la perte de son fils, d’une rupture d’anévrisme cataclysmique. Bien sûr, l’auteur vosgien brouille les cartes : il fusionne les personnages (le prénom de son personnage principal, Donovan-Mathieu, rappelle forcément celui de son fils, Pierre-Dylan), change les noms (sa femme Irma devient Elvira dans le récit) ou inverse les lieux mais ceux qui connaissent l’auteur et son œuvre retrouveront leur chemin dans cette singulière réinvention littéraire. Qui avance masquée donc pour mieux nous surprendre. Et fait d’incessants allers et retours entre passé et présent, Nancy et les Vosges, Billy et Billie, souvenirs et réalité, pour mieux nous prendre au piège de sa construction narrative imparable. Dont l’écriture, très personnelle, de Pelot, est bien entendu partie prenante. Exigeante, avec ses constructions parfois complexes, ses mots précis et recherchés sur laquelle on bute, parfois, au début, avant de se laisser pénétrer et d’y rentrer, complètement et totalement, comme dans les souvenirs auxquelles Donolly se raccroche : “Car c’est ainsi que danse et s’époumone la cavalerie des souvenances, que s’ahanent les silences fuyards après lesquels on court et ne rattrape pas, qui reviendront plus tard, qui sait, hors de toute attente…”. Au final, c’est tout simplement la vie que raconte Pierre Pelot dans Se Souvenir encore des orages, récit touchant à la conclusion marquante.
(Roman, 320 pages – Presses de la cité)