Que se passe-t-il dans la tête d’un homme quand il apprend qu’il n’a plus que quelques mois à vivre ? Voilà la question qui irrigue l’ensemble de ce récit de Neil Gaiman et David McKean originellement publié en 1992 en Grande-Bretagne et qu’Au diable Vauvert ressort ici dans une version revue et augmentée de 3 nouvelles (assez dispensables d’ailleurs) de McKean.
“Signal/Bruit” est l’histoire d’un réalisateur qui aura bientôt 50 ans. Une douleur à la poitrine le pousse à passer des examens qui révèlent une tumeur très avancée. L’homme n’en a plus que pour quelques mois. Refusant les traitements qui lui sont proposés, il décide de se terrer chez lui et de tourner un dernier film, pour lui seul, dans sa tête. Le scénario lui vient facilement : en 999, juste avant le passage au nouveau millénaire, des villageois croyant l’heure de l’Apocalypse venue, se réunissent et gravissent ensemble une montagne toute proche pour attendre la fin…
Résumée comme cela, cette histoire peut paraître simple. Il n’en est pourtant rien. Car les auteurs enchevêtrent ici différents niveaux de narration : les images du réalisateur alternent en effet avec celles du film qu’il est en train de tourner dans sa tête ou dont il rêve. A quoi il faut ajouter les double pages introduisant chaque chapitre (au nombre de 11) qui, avec leurs textes assemblés aléatoirement, semblent aussi raconter quelque chose. Et comme chacun attend la fin proche, il n’est pas toujours facile de discerner qui fait quoi ou qui pense quoi. Le réalisateur ? Ses acteurs ? Gaiman et McKean ? Une confusion bien sûr voulue par les auteurs et même soigneusement entretenue par le travail graphique singulièrement déroutant (comme d’habitude) de McKean qui mêle ici dessins à la gouache, crayonnés, photographies, collages et traitement informatique.
Une forme hybride qui fait de “Signal/Bruit” une œuvre qui se “ressent” autant qu’elle se lit. Car c’est bien la perte de repères, la confusion et la tempête sous le crâne du réalisateur que McKean et Gaiman veulent nous faire éprouver et partager. C’est bien à notre inconscient que McKean s’adresse avec ces métaphores (la montagne à gravir, le sablier, les squelettes chevauchant) et ce travail graphique troublant. Ils visent bel et bien à nous bousculer, à remuer, à susciter le trouble, à appuyer là où ça fait mal. Et à nous obliger à nous coltiner ce que l’on n’a pas vraiment envie : la mort. Notre petite apocalypse personnelle. Et ce que l’on fera (et s’inventera peut-être) quand on la sentira venir.
Vous l’avez compris, “Signal/Bruit” est une œuvre clairement iconoclaste, assez dérangeante. Qui entend pousser plus loin la relation texte/image pour créer une expérience de lecture différente. Une ambition exigeante pour le lecteur, qui sera diversement accueillie selon les sensibilités de chacun, mais vraiment originale.
(Récit complet – Au diable vauvert)