BD. 2003.La collaboration de Tome et Janry sur Spirou s’essouffle. Cela fait six ans que le duo n’a pas sorti un nouvel épisode de la série. Probablement parce qu’ils s’y sentent trop à l’étroit. Et même s’ils ont commencé à travailler sur une nouvelle histoire, Spirou à Cuba, il s’est écoulé trop de temps depuis la sortie de son prédécesseur, Machine qui rêve, et Dupuis décide de confier les rênes à un nouveau duo qui dépoussiérerait Spirou tout en s’inscrivant dans une certaine continuité. L’éditeur pense d’abord à Vehlmann pour le scénario. Mais les dessinateurs avec qui celui-ci veut travailler, Capart et Yoann, ne convainquent pas Dupuis. Qui pense alors à Morvan et Buchet, qui ont un beau succès avec Sillage. Mais ce dernier décline, préférant se consacrer à sa série fétiche mais souffle le nom de Munuera qui a fait ses armes dans la BD franco-belge avec Sfar. Après quelques essais le duo est rapidement intronisé : les influences comics et manga (ils emmèneront d’ailleurs Spirou et Fantasio au Japon dans le troisième album qu’ils réaliseront !) de leur travail plaisent à l’éditeur, qui y voit une opportunité de s’adresser à de nouveaux lecteurs, abreuvés de ses BDs venus du Japon. Commence alors une collaboration qui durera plusieurs années et aboutira à 4 albums.
Munuera et Morvan ne révolutionneront pas Spirou car ils ne peuvent pas se permettre de perdre les lecteurs historiques de la série mais ils la font clairement évoluer et la modernisent. Ainsi, s’il est fidèle aux codes de la série (les jeux de mots, les commentaires ironiques de Spip en aparté, les inventions du comte de Champignac, des méchants attirés par la convoitise ou le pouvoir que Spirou et Fantasio doivent combattre…) et allie humour et aventure, le duo apporte aussi sa personnalité, ce qui se ressent notamment dans la narration et la composition des pages, nerveuses, ainsi que dans le dessin, tout en mouvement. Ce qui décontenancera nombre de lecteurs mais aussi l’éditeur lui-même qui ne s’attendait pas à un tel dépoussiérage. Mais le succès commercial de l’album (doté d’un scénario virevoltant -il y a une course-poursuite sous-marine très spectaculaire- cependant trop à l’étroit dans 48 pages) convaincra l’éditeur de poursuivre un bout de chemin (le temps de 4 albums, finalement) avec Munuera et Morvan (qui trouveront véritablement le juste équilibre à partir de L’Homme qui ne voulait pas mourir). Des coulisses que nous ouvrent Dupuis et Christelle Pissavy-Yvernault dans le dossier (qui est aussi agrémenté de nombreux bonus : dessins inédits, extraits de story-boards, récits courts…) captivant qui ouvre cette intégrale. C’est ce qui en fait d’ailleurs tout le sel : replonger les Spirou de Munuera et Morvan dans le contexte dans lequel ils ont été créés. Et montrer toute la difficulté de reprendre une série classique, coincé entre la volonté de l’éditeur et son désir de créer quelque chose de personnel. Morvan et Munuera en firent bien sûr l’expérience. Grâce à cette (longue) introduction, on lit, ou relit, en tout cas, ces 4 Spirou et Fantasio avec un œil nouveau !
(Intégrale, 336 pages – Dupuis)