New-York, été 1831. Alexis et son ami Gustave sont excités. Ils sont sur le point de prendre une diligence qui va les emmener dans la région des grands lacs à la découverte du grand ouest sauvage américain, des fameux indiens, de la frontière et des lacs…Mais leur enthousiasme sera de courte durée. Car en guise de monde nouveau, ils ne traversent, pendant longtemps, que la civilisation : villages et villes ont remplacé les forêts et les indiens se font très rares. Et quand ils en rencontrent enfin, ceux-ci ressemblent à des clochards en guenilles qui font l’aumône, se saoulent à l’eau-de-vie et dorment à même le sol, totalement méprisés par les blancs…
Ecrivain et philosophe politique français, Alexis de Tocqueville partit, à l’âge de 25 ans, un an aux Etats-Unis en compagnie de son ami Gustave de Beaumont. Une expérience qui déboucha sur l’écriture de De la démocratie en Amérique, son œuvre la plus connue. Kévin Bazot revient ici sur ce voyage, et plus particulièrement sur le périple dans le désert ” américain que les 2 hommes entreprirent avant de repartir en France, en adaptant Quinze jours dans le désert, le carnet de voyage tenu par Tocqueville lui-même tout au long de cette véritable aventure. Il y montre un jeune homme ébloui par les beautés de la nature sauvage (cette “primitive splendeur” dont il parle est d’ailleurs régulièrement mise en exergue dans des cases contemplatives et par un très beau dessin panoramique en double page de Bazot), qu’ils finissent par trouver en s’enfonçant plus loin vers la frontière, à Saginaw. Mais aussi très mélancolique face à ce paradis dont il pressentait qu’il serait bientôt détruit par la civilisation et son avidité et au sort réservé aux indiens qu’il tenait en haute estime (“Ils étaient bons, inoffensifs, mille fois moins enclins au vol que le blanc”). Tocqueville, et c’est une constante dans le récit, dresse un constat amer et sans concessions de l’Amérique des pionniers, parlant de “peuple qui marche à l’acquisition des richesses, unique but de ses travaux”, de “société si policée, si prude, si pédante de moralité”, mentionnant son “extrême avidité au gain” et son “égoïsme froid et implacable envers les indigènes” et ironise souvent sur la prétendue supériorité de l’homme civilisé convaincu que “les véritables propriétaires de ce continent sont ceux qui savent tirer parti de ses richesses”.
Pour son premier album de bd (passionné d’histoire et de récits de voyages, il a jusque là surtout publié dans la presse spécialisée, dans les magazines Histoire junior ou Arkéos junior notamment), Kévin Bazot livre avec Tocqueville une adaptation vraiment captivante. On suit en effet avec un très grand intérêt les découvertes de Tocqueville et de son ami et le regard, neuf et critique, qu’ils portent sur ce nouveau monde et ceux qui l’habitent. D’autant que son dessin réaliste en propose une reconstitution particulièrement léchée et minutieuse. Très recommandé.
(Récit complet – Futuropolis)