Après avoir connu des temps difficiles sur le continent, Thomas Stockmann est revenu avec sa famille sur l’île de son enfance. Son frère Peter, maire de la petite commune, l’a aidé à obtenir le poste de docteur à la station thermale qu’ils ont eu l’idée de créer ensemble. Mais après avoir observé une recrudescence d’infections cutanées et d’intoxications, il a prélevé de l’eau des sources qui font la renommée de la station pour la faire analyser. Le résultat est inquiétant : l’eau est contaminée par le dépotoir que longent les canalisations. Quand il en parle à son frère, celui-ci lui rétorque que la station ne peut pas se passer de sa clientèle le temps que dureraient les travaux…Thomas décide donc de partager sa découverte avec le journal local, La Voix du peuple, pour que la population soit au courant…
Henrik Ibsen a écrit Un ennemi du peuple, sa pièce la plus politique, en 1882, il y a 140 ans. Pourtant, avec les élections de Bolsonaro et Trump, la tentative de prise du Capitole par QAnon, le Brexit ou encore la crise sanitaire liée au Covid, elle n’a jamais paru autant d’actualité ! Le dramaturge norvégien y tire en effet à boulets rouges sur la corruption, les conflits d’intérêt des dirigeants, la manipulation des médias ou le populisme. Car, bien entendu, Peter, le maire, va tout faire pour enterrer ce scandale sanitaire afin d’être réélu et garder son petit pouvoir, même si cela nuit à son frère ou à la santé de ses administrés…Une pièce parfaitement adaptée par Javi Rey qui a décidé de planter l’intrigue dans les années 50-60 et surtout de la mettre en scène à travers un dessin avant tout très lisible –une ligne claire rehaussée d’aplats de couleurs dans des tons souvent vifs- et d’un découpage classique pour avant tout mettre en exergue l’intrigue et la réflexion sur le concept de démocratie qu’elle propose en creux. Sur ce point, l’auteur se montre cependant plus optimiste qu’Ibsen (dans sa pièce, le norvégien pose la question de la capacité de la majorité, constituée, selon lui, pour beaucoup, d’ignorants, de moutons, d’esprits peu critiques à choisir les dirigeants d’un pays…), en rappelant avec la citation de Churchill qui ouvre le chapitre 1 que la démocratie est le moins mauvais système de gouvernement conçu par l’homme mais qu’elle nécessite que l’on reste concernés et vigilants. Et que le mieux pour cela est de former, à l’école, des futurs citoyens capables de réfléchir et d’être critiques pour éviter de se faire manipuler. C’est Petra, la fille institutrice de Thomas, très beau personnage (elle essaie notamment de faire comprendre à ses élèves que les dirigeants devraient avant tout rechercher le bien commun…), qui incarne cette idée dans L’Ennemi du peuple !
(Récit complet, 152 pages – Aire libre)