Formidable ! N’y allons pas par quatre chemins : “Un océan d’amour” est vraiment un formidable récit. Et une véritable prouesse puisqu’il est entièrement muet. Mais oui, vous avez bien lu : 224 pages sans aucun dialogue ni récitatif. Et pourtant, l’ensemble est d’une fluidité exemplaire. C’est bien simple : on reste scotchés aux personnages et à leur drôle d’aventure du début à la fin sans relever la tête une seule seconde. Cela ne surprendra pas ceux qui ont jeté un œil aux noms des auteurs : Lupano, plusieurs fois récompensé pour ses scénarios originaux ces dernières années (comme pour “Le singe de Hartlepool”, dessiné par Moreau, qui s’était vu décerner le prix des libraires 2013, prix que Lupano a encore obtenu en 2014 pour “Les vieux fourneaux” !) et Panaccione, le roi du récit muet, à qui l’on doit notamment l’excellent “Ame perdue” que l’on avait d’ailleurs chroniqué dans ces colonnes (j’espère que vous vous en souvenez !).
Le binôme nous offre donc ici un bijou de récit, à la fois poétique, drôle, touchant et critique, aussi (au fil de ses péripéties, le marin va se rendre compte à quel point les océans sont malmenés : par les dégazages des tankers pétroliers, la surpêche ou les déchets que l’on balance par-dessus bord), avec cette histoire de marin parti en mer pêcher et qui se retrouve remorqué par le Goldfish, un énorme bateau usine, pris au piège dans l’un de ses filets. Alors que sa bigoudène de femme remue ciel et terre, et même plus !, pour le retrouver (elle embarque sur un bateau de croisière pour Cuba, sur les conseils d’une voyante qui lit dans les crêpes…Ben oui on est en Bretagne !), notre homme va lui aussi vivre de drôles d’aventures…
Si cela fonctionne aussi bien, c’est parce que le scénario de Lupano est très inspiré et équilibré et que Panaccione démontre, comme à son habitude, une maîtrise totale de la narration muette : le rythme est savamment pensé (on peut soudainement passer d’un gaufrier de 9 cases à un dessin en double page si la narration le nécessite), les personnages sont d’une grande expressivité (on n’est pas loin du théâtre, parfois) et l’auteur fait preuve d’une belle inventivité graphique quand il le faut (dans les flash backs ou les scènes oniriques notamment). Vraiment du très grand art. Gros coup de cœur !
(Récit complet – Delcourt)