19 octobre 1995. Le juge Borrel est retrouvé mort au bas d’une falaise à Djibouti, le corps partiellement calciné. Alors que l’enquête n’a pas encore commencé, la thèse du suicide est rapidement mise en avant dans les médias. Et quand la femme du juge émet le désir de connaître la vérité, on lui rétorque qu’il vaudrait mieux pour elle abandonner sa quête si elle ne veut pas faire des découvertes désagréables sur son mari (la rumeur qu’il était pédophile circulait, raison pour laquelle il se serait immolé…)…Même quand les analyses médico-légales ou des indices contredisent la thèse du suicide, juges et autorités françaises continuent de camper sur leur position…
On aime quand la bd se fait enquête pour faire émerger la vérité comme dans Une affaire d’états. Le livre, et l’investigation qui va avec, on les doit à David Servenay, journaliste à RFI, qui couvrait le dossier Borrel à l’époque et à qui la directrice de la rédaction, Dominique Burg, retira l’enquête un jour de janvier 2007. Les ordres venaient bien sûr d’en haut, ces investigations s’avérant gênantes pour les relations entre la France et Djibouti, l’une des bases militaires françaises stratégiques d’Afrique…Il fallait calmer le dictateur Ismaël Omar Guelleh directement mis en cause dans l’affaire. Après avoir quitté RFI, Servenay se jura de faire surgir la vérité. Voilà pourquoi il reprend ici, une à une, toutes les incohérences et les erreurs qui ont jalonné cette enquête (un seul exemple pour vous faire comprendre à quel point la justice a manqué de “rigueur” ici : Olivier Morice, l’avocat d’Elisabeth Borrel, apprend en novembre 2015 qu’une soixantaine de scellés du dossier viennent d’être détruits par erreur, confondus avec les scellés d’une autre affaire ayant abouti à un non-lieu…) et revient sur toutes les analyses, témoignages et documents qui prouvent que le juge a bien été tué (les analyses médico-légales ont mis à jour une lésion au crâne ainsi qu’une fracture du cubitus gauche) même si autorités françaises et djiboutiennes ont toujours tenté (jusqu’à Sarkozy qui a, après avoir été élu, parlé, pour la première fois, de meurtre) de le dissimuler.
Menée de main de maître (même si le dessin, par ailleurs inventif, manque parfois de précision, notamment quand il met en scène Chirac, que l’on ne reconnaît pas), Une affaire d’états est une enquête édifiante (complétée, en forme d’épilogue, par un entretien très enrichissant avec Elisabeth Borrel qui se dit déterminée à poursuivre son combat pour la vérité jusqu’au bout) qui en dit long sur ce que cache parfois la raison d’état et sur la supposée indépendance de la justice.
(Récit complet – Noctambule)