On ne connaît pas le travail de Lemire pour le comics fantastique américain (sur des séries comme Trilium ou Descender publiées par Panini Comics ou Urban Comics en France) mais ce que l’on sait c’est qu’ à chaque fois qu’il sort un récit plus personnel et intimiste, cela donne un chef d’œuvre ! Après les excellents Essex County et Jack, soudeur sous-marin, il récidive avec Winter Road (toujours chez Futuropolis), long roman graphique dans lequel on retrouve les thèmes qui semblent obséder l’auteur : grands espaces du nord canadien, hockey sur glace, solitude, deuil, alcoolisme…
Winter Road est en fait l’histoire de Derek Ouelette, homme solitaire qui passe son temps à se saouler et à se battre pour oublier. La mort de sa mère dans un accident de voiture alors qu’elle venait de décider de quitter son mari alcoolique et violent. Sa carrière de joueur de hockey pro en NHL gâchée à cause de ses accès de violence. Ou le fait qu’il n’ait pas su s’occuper correctement de sa sœur quand ils se sont retrouvés seuls tous les 2. Alors quand Bethy débarque un soir à Pimatamon alors qu’il ne l’avait plus vue depuis plusieurs années, il se dit que cette fois il ne doit pas laisser cette nouvelle chance passer…
On l’avait déjà souligné dans nos précédentes chroniques : il y a vraiment dans le trait sec et direct, sans fioritures aucunes, de Lemire et dans sa façon de raconter ces histoires d’êtres brisés une force mais aussi une empathie et un supplément d’âme tels que l’on ne peut que rendre les armes. Remués et émus. Il y a ici un savoir-faire, que dis-je un talent indéniable, pour nous prendre au piège de ses narrations toujours très maitrisées qui éclairent (et nous rendent sympathiques) progressivement, au fil de flash backs intenses, les vies de ces personnages paumés dont l’héritage culturel (car Winter Road nous parle également, et c’est l’une des ses réussites, de cet autre Canada, celui des étendues sauvages du Nord peuplées d’autochtones dont la perte de repères les pousse à l’autodestruction et à la consommation d’alcool et de drogue) et familial leur parait trop lourd à porter mais qui trouvent néanmoins les ressources pour s’en sortir. Vraiment du grand Art !
(Récit complet – Futuropolis)