ALBUM. Il paraît qu’en apprenant la volonté du groupe de ressortir « Document and Eyewitness », Geoff Travis, le fondateur de Rough Trade, s’est exclamé « Are they really ? They are completely mad ! ». Pas vraiment étonnant quand on sait que l’enregistrement proposait surtout la capture live du concert du 29 février 1980 à l’Electric Ballroom de Londres, plus proche de la performance artistique que d’un concert à proprement parler.
Connu pour son goût pour l’expérimentation, Wire avait ce soir-là décidé de pousser le bouchon très loin. Primo en théâtralisant complètement son set : influencés par le dadaïsme et le théâtre de l’absurde, les anglais avaient fait le choix d’essayer des choses différentes, demandant à leur manager de se pointer sur scène en train de se battre avec son blouson en cuir, à des amis de débouler sans prévenir, au beau milieu du concert, attachés à 2, ou de se balader parmi eux en portant un grand drap blanc à bout de bras ; apportant des éléments de décor bizarres : une gazinière sur laquelle le bassiste, Lewis, frappe d’ailleurs comme un damné avec un marteau sur « Piano Tuner » ou une lampe en forme d’oie que le groupe allumait et éteignait régulièrement ; portant parfois chapeaux ou accessoires étranges et même chantant (Lewis, sur « And Then… ») la bouche pleine de pain de mie (tout en en crachant la moitié sur le public…). Et secundo en ne jouant quasiment (1 seul morceau joué ce soir-là apparaissait alors sur l’un de leurs enregistrements) que des morceaux non-finis, en cours de développement. D’où l’impression, à de multiples reprises (comme sur « Zegk Hoqp » et son impro de percussions quelconque), d’assister à une répétition du groupe en public, avec digressions impromptues, impros, hurlements et autres essais ici ou là. Un pari risqué car il est bien sûr difficile dans ces conditions de capter l’attention du public qui se montra apparemment, du coup, particulièrement agressif et hostile ce soir-là, ne comprenant pas le second degré et les visées expérimentales de ce qui était davantage un happening artistique qu’un set rock, en fin de compte.
Un témoignage qui a l’avantage de présenter cette facette, expérimentale et jouant avec les codes du concert, peut-être moins connue du groupe. Une vraie curiosité, plus à voir (mais malheureusement le concert n’a pas été filmé…) qu’à écouter à mon avis et qui resterait malgré tout frustrante musicalement si le groupe n’y avait ajouté des titres d’un autre concert, plus « conventionnel » celui-là (mais cette fois on ne va pas s’en plaindre avec, notamment, un excellent « Ally In Exile »), au Notre Dame Hall de Londres. Et surtout, pour cette nouvelle édition, un second cd proposant des morceaux enregistrés lors de 4 autres concerts donnés en Angleterre et en Espagne en 79 et 80, avec parmi eux les premières versions, presque des ébauches, de « Underwater Experiences », « Part Of Our History » ou « Eels Sang Lino » que le groupe allait reprendre bien plus tard et revisiter sur l’album « Change Becomes Us » (sorti en 2013) et que l’on peut donc comparer (c’est aussi tout l’intérêt de ce « Document and Eyewitness ») à 30 ans d’intervalle. Une très bonne initiative !
(Double live – Pinkflag)