BD. Pour « leur » Lucky Luke, clin d’œil à la première aventure du cowboy solitaire intitulée Arizona 1880, Apollo et Brüno (duo talentueux qui travaille maintenant depuis bon nombre d’années ensemble et à qui l’on doit quelques récits incontournables comme Tyler Cross, Atar Gull ou T’zée) ont choisi de planter leur intrigue la même année, mais dans le Dakota, histoire de faire évoluer le héros dans des paysages inconnus jusqu’alors dans la série : froids et enneigés ! Autre choix étonnant fait par nos deux auteurs : c’est un Lucky Luke jeune (son visage ressemble d’ailleurs à celui des débuts du personnage sous le crayon de Morris), pas encore héroïque, que l’on retrouve ici. Il n’a donc pas encore son cheval fétiche, Jolly Jumper, ni ses ennemis attitrés que sont les Dalton. Non, notre homme n’est encore qu’un simple shotgun chargé d’assurer la sécurité d’une diligence qui fait route vers la Californie. Une idée scénaristique astucieuse puisqu’elle permet aux auteurs de mettre sur le chemin de Luke différents personnages typiques de l’Ouest américain de l’époque, comme Louis Riel, chef rebelle des métisses franco-indiens du Canada, qui a vraiment existé. Mais aussi une ex-esclave qui s’est mis en tête de voyager à travers le pays avec son petit-fils sur une mule jusqu’à ce qu’on lui donne les 40 acres de terrain promis par le général Sherman à chaque nouveau « libre » ; 2 poètes qui s’étaient brouillés ; une gamine surdouée de la gâchette ; une prostituée qui a voulu s’affranchir de son « porc » de patron ou encore un photographe dont le cynisme froid annonce la conquête de l’Ouest et le génocide des Amérindiens. Apollo et Brüno brossent ainsi un portrait, forcément subjectif et partiel (il se focalise surtout sur des personnages qui se rebellent contre l’injustice, la violence ou l’intolérance) mais très réaliste (et pour le coup, on est assez loin du registre humoristique habituel de Morris), de l’Ouest américain tout en nous faisant découvrir un Lucky Luke en train de se construire, déjà prêt, cependant, à défendre les opprimés et les laissés pour compte. S’appuyant, bien sûr, sur le dessin stylisé habituel de Brüno (trait sobre mais très juste ; aplats de couleurs signés Laurence Croix), ce Dakota 1880 s’avère très plaisant. Un bel hommage à Morris qui, cerise sur le gâteau, nous réserve deux dernières surprises : l’origine du surnom, « Lucky », de Luke et les paroles complètes de la chanson qu’il chante à la fin de chacune de ses aventures…
(Récit complet, 64 pages – Lucky Comics/Dargaud)