BD. A la mort de son père médecin, Edmée, 16 ans, doit aller vivre chez son oncle aux Irrigations, dans la campagne flamande. Quand elle arrive, le chef de famille vient de mourir et c’est dans cette ambiance glaciale (il pleut sans discontinuer dehors…) qu’elle doit faire la connaissance de sa tante, qui ne parle pas français, ainsi que de ses cousins et cousines. De Mia, qui rêve de se faire remarquer par le fils du Maréchal Ferrant. De Fred, que le testament du père a désigné comme successeur à la tête de leur domaine de champs et canaux. Ou de Jef, un brin simplet, qui aime aller à la chasse à l’écureuil et qu’ Edmée, consciente de son aura sur lui, va commencer à manipuler et à « monter » contre son frère…
Les policiers, dont les Maigret, de Simenon, n’étaient pas vraiment du genre joyeux. Ses romans « durs » (ils les appelaient ainsi car ils lui donnaient du mal et le laissaient, une fois achevés, épuisé) sont carrément désenchantés. Et La Maison du canal ne fait pas exception. Edith nous avait d’ailleurs prévenus, lors de l’interview qu’elle nous avait accordée au Cabaret Vert l’an dernier…Un récit qui fait partie des tout premiers romans durs de Simenon, mais qui montre déjà l’évolution stylistique de l’auteur, La Maison du canal prenant clairement ses distances avec le style policier. Déjà parce que si meurtre il y a, il apparaît à la fin, en guise de conclusion. Mais aussi, et ce que l’on vient de dire le prouve, parce que ce qui intéresse surtout l’auteur ici, ce sont ses personnages et leur psychologie. Simenon les observe, dans ce petit théâtre qu’est le monde. Et il voit. La naïveté et le désir d’amour des uns, le besoin de domination et l’égoïsme des autres. Le charisme et l’attrait pour la manipulation d’autres encore. Et en metteur en scène habile, orchestre ces différents traits de personnalité pour mener ses personnages, après divers événements faisant monter la tension, jusqu’au drame. Un récit sombre, qui met en scène la cohabitation, impossible, entre une fille éduquée et gâtée de la ville et le monde de la campagne, âpre et austère, parfaitement adapté par Bocquet et Edith. La construction narrative, très bien huilée, du premier, met en exergue avec brio cette manière de chronique d’un meurtre annoncé à la belge (quand le narrateur omniscient annonce, à un moment : « il n’y avait plus la moindre lueur au ciel ou sur la Terre », il ne fait pas que parler de la nuit qui tombe…). Quant à Edith, elle livre un travail graphique remarquable, notamment la mise en couleur, dans des tons froids, qui restitue avec beaucoup d’à propos la tristesse et la dureté de la vie (on ressent presque le froid et l’humidité qui y règne…) dans ces champs perdus entourés de canaux. Tout comme la violence des relations entre les personnages. Un « Simenon » très réussi, à l’édition une nouvelle fois très soignée avec cette jaquette du plus bel effet.
(Récit complet, 96 pages – Dargaud)