BD. Ministère des finances, 24 avril 2014. Arnaud Montebourg est furieux : il vient d’apprendre, par la presse !, que le PDG d’Alstom, Patrick Kron, a décidé de céder la branche énergie du groupe industriel pour un peu plus de 13 milliards à General Electric, son principal concurrent américain…Et il aura beau remuer ciel et terre, notamment proposer à Siemens, autre monstre de l’énergie allemand, un rapprochement, rien n’y fera, la vente de ce fleuron national (qui vit de la commande publique puisqu’Alstom équipe les centrales nucléaires françaises…), avec 20 milliards de chiffre d’affaires et 95 000 salariés, sera effective quelques semaines plus tard…
Pour comprendre comment cela a été possible, il faut lire Le Piège américain, adaptation en BD du livre éponyme de Mathieu Aron et Frédéric Pierucci qui a obtenu le prix littéraire Nouveaux droits de l’Homme en 2019 et qui se présente comme un véritable thriller (une source se fait d’ailleurs appeler « Spanghero », les rendez-vous ont lieu dans un parc pour éviter les écoutes…) économique plein de rebondissements. Qui commence véritablement le 14 avril 2013. A l’atterrissage de son avion à New-York, Frédéric Pierucci, cadre dirigeant d’Alstom (il est le patron pour le monde de l’unité chaudières), est arrêté par le FBI dans le cadre d’une enquête de corruption (une loi fédérale, la Foreign Corrupt Practises Act permet à la justice américaine de poursuivre n’importe quelle entreprise mondiale même si les faits ne se sont pas déroulés sur son sol…) qui touche son groupe. 10 ans auparavant, Alstom a en effet versé des commissions à des intermédiaires (une pratique apparemment systématique dans ce pays…) pour emporter le contrat de construction d’une centrale électrique en Indonésie. Commence alors une véritable descente aux enfers pour notre homme, pris au piège du système judiciaire américain. Car Pierucci va très vite se rendre compte que le procureur Novick l’utilise pour faire pression sur le PDG d’Alstom, Patrick Kron. Car lui n’est qu’un sous-fifre, un pion, qui peut cependant permettre à la justice américaine d’atteindre Kron s’il coopère. Et il n’a pas vraiment le choix. Car il apprend par ses avocats américains, peu empathiques par ailleurs, qu’il risque une peine de 126 ans de prison et que pour obtenir une libération conditionnelle en attendant son jugement il doit s’acquitter de 400 000 dollars (somme qui sera finalement portée à 1 million…) et trouver un citoyen américain qui accepte de mettre sa propre maison en caution…Alstom, de son côté, accepte de payer les honoraires de ses avocats mais s’il est déclaré coupable, il devra les rembourser…Un imbroglio totalement kafkaïen qui durera longtemps. Pierucci restera en effet en prison jusqu’à la vente d’Alstom à General Electric et son jugement ne sera prononcé qu’en septembre 2017, lui imposant de retourner en prison pour effectuer le reste de sa peine (condamné à 2 ans et demi de détention, il n’avait en effet initialement passé « que » 14 mois en prison…).
Une Affaire (et à travers elle, la véritable guerre économique à laquelle se livrent les Etats-Unis, y compris à l’encontre de ses alliés supposés -on en a encore eu un exemple récemment avec l’affaire des sous-marins australiens…) dont Aron et Pierucci parviennent ici à démêler les fils avec rigueur, malgré sa complexité, grâce à un scénario d’une grande clarté, bien épaulés par le dessin réaliste de Duphot, particulièrement lisible et à son découpage fluide. Un récit édifiant et incontournable si vous voulez comprendre pourquoi les Etats-Unis s’en prennent actuellement au PDG du géant chinois Huawei et comment la première puissance mondiale s’y prend pour continuer à dominer le monde…
(Récit complet, 136 pages – Delcourt/Encrages)