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EDITH nous parle de sa vie antérieure au XVIIIe siècle en Suède, Simenon et Riff Reb’s…

Si vous avez déjà lu l’interview de Riff Reb’s réalisée au Cabaret Vert sur le site, celle-ci est un peu son double inversé… Elle a en effet été réalisée le même jour, dans le même hôtel, avec Edith, sa femme, également autrice, qui s’est montrée d’une grande gentillesse. Une conversation que l’on a beaucoup appréciée au cours de laquelle on a parlé de l’étonnant Moi, Edin Björnsson, pêcheur suédois au XVIIIe siècle coureur de jupons et assassiné par un mari jaloux, de ses projets en cours mais aussi de la vie de couple quand on est tous les deux dessinateurs…

Bonjour Edith. J’aimerais que l’on commence par parler de Moi, Edin Björnsson car ce récit a une genèse particulière.

Alors, il faut donner le titre entier parce que c’est important. Moi, Edin Björnsson, pêcheur suédois au XVIIIe siècle coureur de jupons et assassiné par un mari jaloux. Et en fait c’est important car c’est la genèse de cet album. Ça part d’une visite chez une magnétiseuse. C’était pour guérir une douleur mais cette magnétiseuse travaille au pendule et elle m’a proposé de me raconter ma vie antérieure. Chose à laquelle j’ai bien sûr souscrit. Je précise dans l’album que je ne crois pas aux vies antérieures. Vraiment, je laisse la porte ouverte. Ça existe, ça n’existe pas, vraiment, ça ne change rien pour moi. J’ai des amis qui y croient formellement, j’ai des amis qui, au contraire, ne sont pas du tout dans ce truc là mais l’idée que l’on me raconte une histoire me plaisait. Et elle m’a raconté. Elle m’a dit que j’avais vécu en Suède. C’était au XVIIIe siècle. Elle a travaillé avec le pendule sur des planisphères, des calendriers, des graphiques. Bon, je n’ai pas tout bien vu car c’était de l’autre côté de la table. Donc, elle me dit « vous étiez un homme, un pêcheur, vous aimez les femmes »…Et là elle s’est arrêtée et elle me dit : « Oh, vous êtes mort de mort violente. Assassiné ». Et là elle m’a regardé d’un air très convaincu et elle a ajouté « sans doute par un mari jaloux ». Et donc ça m’a fait sourire, je suis repartie avec cette petite histoire jusqu’à ce qu’un jour, une amie convaincue de l’existence des vies antérieures me disent : « mais c’est génial, toi qui as toujours voulu »…Parce qu »il faut préciser que jusque-là je n’avais travaillé qu’avec des scénaristes ou alors j’avais adapté des romans. J’avais aussi travaillé sur des dialogues et écrit de petites histoires pour des collectifs. Mais je n’avais jamais écrit de scénario original d’un album complet. Et je lui ai dit que c’était juste un petit pitch et elle m’a dit : « Oui mais c’est ta vie antérieure et elle va te revenir ». J’étais sceptique, je dois dire, mais la phrase qui m’a décidée c’était que je ne risquais rien à essayer. Et donc je me suis mis devant l’ordi et en fait c’est parti très très vite et j’ai écrit ça dans une euphorie. J’ai adoré écrire cette histoire. Et donc voilà j’ai imaginé quelle avait pu être ma vie antérieure dans la peau de ce jeune pêcheur suédois…

En écrivant le livre est-ce qu’il y a des parties qui sont entrées en résonance et vous ont fait vous dire « pourquoi pas ? »

Alors, non, par contre. D’une part se mettre dans la peau d’un jeune homme alors qu’on est une femme de plus de 60 ans, c’est bizarre.

Et un jeune homme qui aime les femmes…

Oui, c’est ça. Mais d’autre part je me suis dit que j’avais tout un bagage. J’ai les histoires de mes copains, j’ai les histoires de mon conjoint quand il était jeune, j’ai des fils adultes et puis il y a tous les rapports humains dont on parle avec les copains. On est dans un milieu social où il n’y a pas beaucoup de tabous. On se raconte facilement les choses. Il y a des milieux, des sociétés où on en dit moins mais là… Donc je me suis nourrie de tout ça, même de mes propres expériences, il y a des réactions que j’avais pu voir quand j’étais enfant, ou chez mes copains. Pour l’instant, je n’ai pas eu de retour de lecteurs qui m’aient dit « non mais ça c’est pas possible. C’est de la caricature ». Je pense que j’ai dû décrire une vie de jeune homme parmi d’autres. Et il y aussi le fait que c’est une époque et un pays où la vie était très difficile et il n’y a pas énormément de connections avec la vie moderne et je pense qu’il n’y a pas non plus énormément de gens qui sont spécialistes de la Suède du XVIIIe siècle qui pourraient venir me pointer des erreurs.

C’est sûr. Alors cette magnétiseuse vous avait donné quelques grandes lignes mais il fallait encore écrire l’histoire. Vous avez parlé d’euphorie mais il a dû y avoir quelques difficultés, non ?

Alors, ce que je n’ai pas notifié c’est qu’avant de me raconter ma vie antérieure elle m’a demandé si je voulais connaître mon totem animal. Elle a cherché avec son pendule et elle m’a dit que c’était l’ours. J’ai trouvé ça super car c’était quand même mieux que le cafard…L’ours, c’est majestueux. J’étais très contente de ce totem animal même je n’en ai rien fait. Mais, du coup, pour écrire l’histoire je me suis dit qu’il fallait que j’utilise ça aussi. Ça faisait partie de la même séance.

Et l’ours en Suède ça allait bien.

Exactement. D’ailleurs, je n’y avais jamais pensé avant mais il y avait une logique implacable entre tout ce qu’elle m’a dit…parce que quand elle m’a donné mon totem animal elle n’avait pas encore cherché ma vie antérieure. Alors je ne sais pas si elle, elle a des schémas qui vont dans une certaine logique…Elle avait peut-être déjà un peu visualisé un univers par rapport à moi. En tout cas, l’ours, cela me faisait un deuxième personnage. Je me suis dit que j’avais le début, forcément, puisqu’il nait. Mais par contre il fallait que j’ai la fin avant d’écrire l’histoire. Je suis une grande lectrice et cela me met dans une colère quand un romancier m’emmène dans un super bouquin et que la fin est ratée. Cela m’énerve quand un écrivain te fait miroiter un truc et qu’il ne tient pas ses promesses. Et alors du coup il faut vraiment éviter ça. Evidemment, je n’allais pas juste raconter l’histoire d’un gars qui naît, vit et se fait tuer par un mari jaloux. Il fallait un petit switch pour la fin. Et le jour où je l’ai trouvé je me suis dit que c’était bon. J’avais la fin, je pouvais écrire l’histoire.

Bon, on ne peut pas trop parler de la fin parce que ce serait spoiler mais effectivement elle est surprenante… (Edith rit…)

Le jour où l’idée m’est venue, j’en ai parlé à mon éditrice et elle m’a dit que c’était super. Cela m’a conforté dans l’idée que c’était la bonne fin.

Et du coup une fois le livre réalisé, est-ce que vous êtes retournée voir la magnétiseuse pour lui dire : « voilà, je l’ai mis en images »?

Alors, non. Parce que, d’abord, c’était il y a pas mal d’années. Initialement cet album devait sortir en 2020. Mais il y a eu le Covid et l’éditeur n’a pas voulu le sortir. En 2021, l’éditeur a pensé qu’il y aurait un embouteillage des albums qui n’étaient pas sortis en 2020 et il n’est pas sorti en 2021. Et après il y a eu un changement d’éditeur…c’est comme ça qu’il n’est sorti qu’en 2023. Mais j’ai écrit l’histoire en 2018 et j’ai fait l’album en 2019. Et peut-être que cette histoire avait fait son apparition 2-3 ans avant…Donc on remonte loin. Je ne suis allé voir cette magnétiseuse qu’une seule fois et c’était au fin fond de la campagne et je suis incapable d’y retourner. Je ne me souviens même pas de son nom. En plus, je ne sais pas si quelqu’un qui a ces pratiques est très ouvert à quelque chose qui s’apparente à …Il y a quelque chose de pas très sérieux dans ma démarche. Est-ce que quelqu’un qui est convaincu de la pratique de magnétisme et de divination serait très heureux de voir que j’en ai fait quelque chose de léger ? Est-ce que l’humour va avec le magnétisme, je ne sais pas…Je ne sais pas si c’est quelqu’un que je vais croiser dans la librairie de ma ville. Après, on ne sait jamais.

C’était un projet singulier en tout cas. Du coup, est-ce que cela n’a pas été difficile d’enchaîner après ? De repartir sur un autre projet.

Si. Déjà, c’était un projet très personnel, très particulier. Et je n’ai pas une technique de scénariste. Donc, quand j’ai fini, je me suis dit que ne pourrais pas réécrire une histoire maintenant. J’avais mis tout ce que j’avais envie d’y mettre. Et, du coup, je suis repartie sur une adaptation avec un scénariste, dans la collection des Simenon, chez Dargaud. Parce que ça me laisse du temps. Et puis, en fait, mon prochain projet est aussi une adaptation. Pour l’instant, je ne me pose pas la question d’écrire une histoire mais je pense que cela me plairait. J’ai besoin de reprendre de l’inspiration et trouver un déclencheur. Je me suis aperçue que quand on n’est pas scénariste de métier, le déclencheur est important et une fois qu’on l’a, on peut dérouler la pelote. Enfin, ce n’est pas comme si je n’avais jamais écrit. J’ai écrit des choses pour moi, qui ne sont jamais sorties parce je ne suis jamais allée jusqu’au bout des difficultés. Mais bon la pratique de l’écriture n’est pas nouvelle pour moi. Ce n ‘est pas ce qui m’arrête. Non, ce qui m’arrête, c’est la raison. Pourquoi écrire ça ?

Il faut un sujet fort.

Il faut un sujet fort et il faut savoir pourquoi on va le raconter et ce que ça amène au bout du compte. Si c’est juste pour raconter sa vie… Alors, il y a des gens qui font ça très bien mais c’est juste que c’est pas mon truc…

Donc vous avez deux projets sur le feu. Vous les menez de front ?

Non. Je vais d’abord finir le Simenon. Parce que le livre que je veux adapter, enfin que j’aimerais adapter, parce que rien n’est jamais fait tant qu’on n’a pas signé le contrat, c’est un livre irlandais et du coup les droits sont détenus par une société de gestion de droits anglaise. C’était la même chose pour l’adaptation du Jardin de minuit. Et les anglais sont terribles parce qu’ils n’ont pas cette culture bande dessinée. En tout cas sous la forme des albums franco-belges de base et ils ne comprennent rien à notre métier et donc c’est un combat et là ça fait 6 mois. Le Jardin de minuit, ça a pris 6 mois… ce n’est pas qu’ils ne veulent pas mais ils ne comprennent pas financièrement et puis par rapport au respect de l’œuvre et ce que c’est qu’une adaptation…c’est une tannée pour leur faire comprendre que ça existe, que c’est une forme qui est courante ici et c’est bizarre car il y un fossé énorme entre nous et les anglo-saxons. Ce sont mes éditeurs qui s’occupent de gérer mes demandes de droits et pendant ce temps-là je travaille sur le Simenon et les choses vont se succéder assez facilement finalement.

Pour le Simenon, c’est le directeur de la collection qui est venu vous solliciter.

Non, c’est José-louis Bocquet, le scénariste. En fait, avec José-Louis, on se connait depuis très très longtemps. José était mon premier éditeur. C’est lui qui a signé mon premier album à l’époque, Sâti, aux Humanoïdes Associés, à ce moment-là il était directeur de collection. On s’entend bien et surtout je trouve qu’il travaille très bien, qu’il est un très bon scénariste J’ai vu certains de ses reportages et il connait très bien Simenon, il a travaillé sur le sujet. Il a beaucoup de métier. Et en plus comme on s’entend bien…c’est vrai que moi j’ai toujours le souci, quand je travaille avec un scénariste, de lui demander de me laisser une petite liberté. Parce que moi, recevoir tout fait, imposé et juste avoir à dessiner…J’adore le boulot de découpage. J’adore le travail de narration. Plus ça va, plus c’est l’étape qui me plaît presque le plus…Et c’est plus facile de parler avec quelqu’un avec qui on s’entend bien, de dire « écoute j’aimerais avoir cette partie-là »…Et il m’a dit pas de problème. En plus, c’est bien, il débroussaille, il m’écrit le scénario mais par contre il me laisse la liberté de faire le découpage, sachant que comme à chaque fois je lui soumets. C’est lui qui a le dernier mot, c’est lui le scénariste, il n’y a pas de problèmes. Mais en général jusqu’ici ça fonctionne bien. Et je sais qu’il y a quelqu’un avec qui j’avais travaillé qui avait été très cool aussi, c’était Zidrou, pour Emma G. Wiltford. Il n’avait pas l’habitude de travailler comme ça. Là, par contre, on ne se connaissait pas. Et quand je lui ai dit que je voudrais travailler comme ça il m’a répondu que d’habitude il envoie ses feuilles et ses dessinateurs les dessinent. Je lui ai expliqué que son histoire était super mais qu’il était un peu bavard et que pour moi, c’était un peu lent, tout ça. Je lui ai dit : « ne le prends pas mal mais j’aimerais faire le découpage ». Il m’a dit Ok. J’ai fait les 20 premières pages, j’ai parfois raccourci des dialogues si cela me paraissait redondant avec mes cases, je lui ai envoyées. Et il m’a répondu : « J’aime beaucoup ce que tu fais de mon histoire ». C’est vraiment quelqu’un de très ouvert. J’ai beaucoup apprécié travailler avec lui. Et à la moitié de l’album il m’a dit : « j’ai compris comment il faut travailler avec toi. Je suis scénariste mais tu es la metteuse en scène ». C’est exactement ça. C’était chouette parce que tous les scénaristes ne laissent pas cette liberté-là. Et pour Simenon, avec José-Louis, ça marche aussi comme ça. Moi ça me convient très bien, ça me laisse le plaisir d’un stade d’écriture, enfin pas vraiment d’écriture, ce stade de découpage me plaît. De plus en plus. Je pourrais laisser le dessin à quelqu’un d’autre. Non, j’exagère. J’aime aussi mettre en images.

De quel Simenon il s’agit ?

C’est La Maison du canal. C’est un des romans durs parce que cette collection ne propose que des adaptations de romans durs. Il n’y a pas de Maigret…C’est un roman très noir, voire limite glauque. C’est un challenge pour moi parce que ce ne sont pas des ambiances que j’ai l’habitude de travailler. Ce côté très noir, je crois que je ne l’ai jamais fait. J’ai déjà fait des histoires pas forcément joyeuses mais là c’est noir, vraiment. Je fais juste le pitch…C’est une jeune bruxelloise de 16 ans qui vit avec son père, sa mère est morte quand elle avait 10 ans et son père décède. Elle n’a plus personne pour s’occuper d’elle et elle est envoyée dans de la famille au Limbourg, une région au nord-est de la Belgique, dans la partie flamande. Elle va se retrouver au milieu de gens assez frustres, qui ont une immense propriété. Ils font du foin. Il y a les canaux qui sont partie prenante du décor. On ouvre leurs vannes pour arroser et dans ce pays désolé, sous le brouillard, la flotte, c’est terriblement triste, elle va, pas se perdre, mais elle va se confronter à un monde qu’elle ne connait pas et elle va révéler un aspect de son caractère que l’on n’avait pas forcément perçu au départ. Je n’en dis pas plus. C’est aussi une peinture de mœurs, d’une époque et d’une région mais avec cette personnalité étrange et déroutante de cette jeune fille qui vient s’inscrire là-dedans…

Et vous en êtes où ?

J’ai fait une vingtaine de pages et il en fera 72. C’est ce qui me plaisait aussi, c’est que je ne repartais pas sur un 100 ou 120 pages, sachant que j’avais aussi cet autre projet. 72 pages, c’était bien. Bon, on est habitués mais parfois on est un peu plombés par ce qu’on dessine. Et, au contraire, quand on fait un truc un peu ensoleillé ou un peu…C’est pas tout le temps mais parfois il peut y avoir une petite connexion entre ce que l’on fait et notre humeur. C’est comme ça que ça marche chez moi en tout cas.

Donc le suivant sera peut-être un peu plus lumineux…

Alors, il se passe en Italie. Déjà pour la météo, c’est vachement mieux (elle rit). Après, c’est une histoire plus douce-amère, c’est-à-dire que ce n’est pas joyeux mais il y a des moments de calme et de résilience qui font du bien. Ce n’est pas comique, non plus. Mais rien que les images que j’ai en tête, de cette grande maison, en lambris dans la Toscane, avec ces gens blessés mais qui en même temps y trouvent un repos formidable…il y a toute la fantaisie aussi. Ça fera du bien après La Maison du canal

Donc la sortie du Simenon est prévue pour 2025 ?

Pour septembre/octobre 2025, c’est ça.

Quand vous avez commencé à travailler dessus, est-ce que vous avez eu la curiosité de regarder ce que vos camarades avaient fait sur les précédentes adaptations, comme sur La neige était sale de Fromental et Yslaire, ou est-ce que vous vous êtes dit, au contraire, qu’il ne fallait pas regarder ?

J’ai lu celui de Cailleaux. Parce que j’aime le travail de Christian et c’était très spécifique, sur le bateau, sur le Polarlys…Quand on en avait parlé avec José-louis, on n’avait pas encore choisi le roman mais moi je voulais faire un côté marinier, péniches…Ils avaient cherché avec Jean-Luc Fromental et ils n’avaient rien trouvé. Ce côté marinier, c’était uniquement dans les Maigret…Et finalement je lis le Polarlys, que je n’aurais pas aimé dessiner parce que tout le temps dessiner un bateau ça m’aurait ennuyée…Entre temps, José-Louis avait trouvé La Maison du canal. Bon, il n’y avait pas de mariniers mais il y avait un canal…et après il m’avait envoyé La neige était sale et je n’ai pas pu, j’ai trouvé ça vraiment trop dur. Je ne sais pas, ça m’a…J’ai trouvé ça abominable comme histoire. Est-ce la façon dont Yslaire le met en images ? Parce qu’après tout, l’histoire que j’adapte n’est pas gaie du tout non plus. Mais lui c’est très noir. Il n’y a pas d’espoir. Noir, c’est noir, il n’y a plus d’espoir, c’est comme ça qu’on peut le définir. Il y a vraiment une adéquation entre le dessin d’Yslaire et le scénario. Parce qu’en fait j’avais l’impression que l’on était toujours tellement proche de ces personnages dans les cases qu’on le prend dans la figure. Moi, j’aurais plutôt tendance, dans les scènes les plus costauds, à m’éloigner, à suggérer. A prendre de la distance parce que ça m’est nécessaire, moi. Je ne peux pas dessiner quelque chose comme ça. Lui, il a pris le parti de nous mettre la tête dedans. Et donc je l’ai fermé. Enfin, j’ai lu les premières pages mais j’ai rapidement arrêté. Parce que je me suis dit : « pourquoi se faire du mal ? » Personne ne te demande ça. Et en plus graphiquement on n’a pas du tout la même approche. Le thème n’avait rien à voir, le lire ou ne pas le lire, ça ne changeait pas grand-chose…

Vous vivez avec Riff Reb’s. La question que je me suis toujours posée c’est comment ça se passe à la maison, deux artistes qui doivent travailler sur des projets. Vous parlez de vos projets mutuels ou, au contraire, il y a une espèce de cloisonnement qui se fait ?

Ça n’a pas toujours été pareil. On a travaillé 20 ans dans la même pièce. Bon, déjà, au début, quand on s’est installés tous les deux, on s’est dit qu’on ne ferait jamais un livre ensemble. Parce qu’on a nos propres idées chacun, on a nos égos aussi, et on s’est dit que si on travaillait sur un livre ensemble on allait se teugner tout le temps et, surtout, quand est-ce que tu t’arrêtes, à 19 heures, à 19h30 ? On a eu deux enfants aussi, bon maintenant ils sont partis de la maison mais en fait on s’est dit est-ce qu’on va s’engueuler, après, quand les enfants seront couchés, à cause de telle phrase ou de tel dessin ? On sait qu’on est capables de se prendre la tête pour ce genre de choses. On a décidé de faire le même métier mais de ne pas faire de livres ensemble. Déjà, ça clarifiait quelque chose. Et au début, j’étais moins expérimenté que Riff parce que je suis passée par d’autres choses, comme la vidéo, même si j’ai toujours dessiné. Et il y avait beaucoup d’échanges. Moi je demandais beaucoup de conseils à Riff sur le dessin, quand j’avais besoin. Lui pouvait m’en demander sur la couleur parce que j’étais plus focalisée sur la couleur et puis on a eu nos expériences chacun et on en a eu de moins en moins besoin. Et maintenant, ce qui se passe, c’est qu’en fait on ne regarde pas les planches de l’autre, comme ça on a la surprise de découvrir l’album. En tout cas, graphiquement parce que quand Riff écrit une histoire ou une adaptation, on se donne à lire notre découpage. On est nos premiers lecteurs mutuels, avec notre éditrice. Ce qui permet d’avoir un premier regard, qui n’est pas le regard public parce qu’on a un regard technique mais qui permet de pointer, éventuellement, certains petits trucs. Et comme ça fait pas mal d’années qu’on ne travaille plus dans la même pièce maintenant, Riff a son atelier et moi le mien, du coup, c’est assez chouette de découvrir les planches quand l’album sort même si on connaît l’histoire parce qu’on a lu le découpage. Autant mon découpage c’est du gribouillage, donc Riff ne sait pas ce que vont être les images autant Riff, son découpage, il pourrait l’imprimer tant il est précis. C’est hyper clean. Après ça, il reprend son story-board et il agrandit mais il a quasiment sa case. Moi c’est quasiment des bonhommes patates et allumettes. Bon, c’est pas exactement ça… j’exagère. Mais c’est un rough très brut. On ne peut pas visualiser ce que ça va être avant que je ne redessine et que je ne mette la couleur. Du coup, on n’a pas tout à fait la même surprise. Sinon, on bosse chacun de son côté. Ça n’empêche pas de parler boulot mais ça permet que le travail soit assez bien séparé de la vie quotidienne et j’admire, en fait, les couples d’auteurs qui travaillent ensemble sur un même livre. Je ne sais pas comment ils font. Je me dis qu’il y en a forcément un qui prend le dessus sur l’autre. Ce n’est pas possible, ça ne peut pas tout le temps être égal. Je me trompe peut-être. S’ils réussissent à être à peu près dans la parité dans la création, bravo, c’est extraordinaire. Nous, on n’aurait jamais pu faire ça (elle rit).

Déjà, être tout le temps sous le même toit, pour travailler et vivre, c’est pas évident…

En fait, on est assez fiers d’avoir été, pendant 20 ans, 24 heures sur 24, parce que l’atelier était dans le jardin, c’était maison atelier maison atelier…On a réussi ça. Mais le jour où on a pu chacun avoir notre espace, c’était pas mal aussi.

Après, quand les enfants sont arrivés, ça a dû être une autre problématique…il y avait ça en plus à gérer.

Oui. Alors, après, ce n’est pas très glamour mais c’est des règles. Parce qu’il y a les enfants à aller chercher à l’école et que personne ne veut lâcher le crayon…Il ne faut pas avoir peur de s’organiser même si c’est un peu formel, quoi. Mais ça permet aussi, toujours dans l’idée…, l’idée ce n’est pas de dire j’en fais plus j’en fais moins, c’est que chacun puisse ne pas être frustré dans la réalisation de son album, on est au-delà du petit partage des tâches ou quoi. Par exemple, s’il y en a qui est en charrette, on va bousculer les trucs, en disant je vais prendre plus de choses en charge pour que tu puisses finir. Il ne faut pas être trop formel non plus.

Ce qui a peut-être facilité les choses, c’est que vous avez tous les deux eu du succès. Cela aurait peut-être été plus compliqué si cela n’avait pas été le cas…

Cela aurait peut-être été plus loin que ça… Je ne sais pas si cela aurait été vivable en fait. Si l’un de nous avait eu du succès et pas l’autre, je ne dis pas que l’on ne serait pas restés ensemble, mais cela aurait remis beaucoup de choses en question. Je pense que, du fait que… en fait Riff lisait de la BD jeune, il a toujours voulu faire de la BD,. Les dessins animés, les BD, c’était son truc. Et donc il a vraiment presque une vocation. C’est vraiment quelque chose comme ça. D’ailleurs, il travaille un peu comme un moine, un moine copiste. Il part le matin, il est tout seul dans son atelier et il se perd dans ses planches…

Un moine copiste qui met quand même du Radio Birdman pour travailler…

(Elle rit) Oui, ben on ne sait pas ce qu’ils écoutaient les moines copistes… On croit qu’ils n’écoutaient que des chants grégoriens mais peut-être pas du tout… Quand je dis un moine copiste, c’est son univers, c’est son monde. Moi, je suis plus dilettante. Mais c’est parce que j’ai fait aussi d’autres choses. Je suis arrivée à la bande dessinée parce que j’ai rencontré des fous furieux rock’n roll à l’époque qui étaient Riff, Cromwell et Arthur Kwak, il y en avait d’autres mais c’était les principaux, et cette ambiance et cette façon de raconter des histoires, il fallait juste un crayon, un papier, ça m’a vraiment beaucoup plu. C’est comme ça que j’y suis venue mais je n’avais pas le bagage qu’avait Riff. Même si je dessinais, évidemment. On s’est rencontrés dans une école d’art, je dessinais depuis longtemps… mais j’étais passée par la vidéo, j’avais touché à d’autres trucs…

Ce n’était pas une obsession pour vous…

Eh ben non. Et en fait mon idée, moi, c’était pas tant les dessins que les histoires. Et finalement peut-être que si je n’avais pas eu de succès j’aurais peut-être trouvé un autre moyen de raconter des histoires, j’en sais rien. Mais je pense que cela aurait été très difficile quand même. Et dans l’autre sens, je pense que ça aurait été un cataclysme pour Riff. Mais il n’y avait pas de raison. Je veux dire, il a un réel talent. Après, le succès, ben oui, il y a succès, gros succès et énorme succès. Mais le but c’est d’en vivre. C’est pas d’aller s’acheter un yacht. Je dis ça parce que je connais un auteur qui s’est acheté un yacht. Le but c’est vraiment d’en vivre et de ne pas être obligé, même si on l’a fait, de prendre des boulots un peu moins passionnants à côté… Après, c’était quand même des boulots de dessin, des boulots de commande. Alors les jours où on se lève en faisant « pffff », on se dit que c’est quand même du dessin, qu’on n’est pas à l’usine et on s’y met. Même si ce n’est pas aussi passionnant que de faire son album, c’est sûr. Mais voilà on a la chance de pouvoir en vivre bien, de ne pas se poser la question. Mais effectivement c’était une chance que l’on ait du succès alternativement, parce qu’en plus, on a vraiment eu du bol parce que c’était pas tous les deux en même temps d’un coup ou tous les deux au fond du trou d’un coup. Bon, on n’a jamais été vraiment au fond du trou mais c’est vrai qu’il y a eu quand même des succès moindres pour l’un ou l’autre mais c’était vraiment alternatif. C’était super parce que financièrement c’était plus facile.

Surtout quand on a des enfants…

Après, je crois qu’il faut une certaine inconscience pour partir tous les deux dans le métier de la bande dessinée et sur le coup faire deux enfants. On se dit :  « on n’était pas quand même un peu inconscients « .

C’était l’insouciance de la jeunesse…

Oui et peut-être aussi un peu l’inconscience d’une époque. Je pense que c’est peut-être moins facile d’avoir cette insouciance maintenant. Je me trompe peut-être mais quand je vois les générations qui ont l’âge que l’on avait à l’époque, 25 ans…Il faut croire que l’on a eu du bol et que l’on a bien mené les choses.

J’ai une dernière question. Quelle est la période artistique de Riff que vous préférez, ses livres qui vous touchent le plus ?

C’est difficile. Je les aime tous.

Vous n’avez pas le droit de répondre ça, il faut faire un choix…

(elle rit). Je sais, I know…Oui, il faut que je trouve une réponse…ça va être bizarre mais il y a un livre que j’aime énormément. Ce n’est pas une bande dessinée, c’est un livre jeunesse qui s’appelle L’Ours qui a vu l’homme qui a vu l’Art et je trouve que ce livre est d’une poésie…Le dessin, évidemment, est magnifique, c’est Riff qui avait écrit l’histoire et c’est d’une poésie et d’une profondeur que moi j’adore. Comme ça, ça m’évite de répondre sur les BD (elle rit). Et c’est étonnant parce qu’l n’y a pas eu énormément de…bon ça s’était bien vendu et il a été réédité mais ça n’a pas été une… (elle cherche)

Oui, ce n’est pas le plus connu de Riff…

Non. En plus, ce livre jeunesse peut être lu par un adulte tellement il emmène, quoi. Il parle de l’Art aussi. On se dit, finalement, c’est dommage qu’il y ait ce cantonnement livres jeunesse, livres ado, livres adultes mais bon c’est comme ça…Mais s’il y en a qui sont curieux d’aller voir…Il est souvent dans les bibliothèques. C’est un livre qui plaît aux bibliothécaires. Mais je ne sais pas s’il est encore disponible. En tout cas je vais dire celui-là !

Merci beaucoup Edith !

Merci à vous pour cette interview !

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