Les impressions nouvelles ne se contentent pas de sortir des romans ou bandes dessinées. Elles consacrent en effet une partie de leur travail et de leur énergie, à travers la collection « Réflexions faites » (qui avait notamment vu Samson et Peeters revenir de façon captivante sur la démarche de Chris Ware dans « La bande dessinée réinventée »), à l’analyse d’œuvres, à la réflexion sur ces médiums et à la critique.
« L’Association », qui sort dans cette collection, n’est donc pas un livre de bande dessinée mais un livre SUR la bande dessinée. Le collectif Acme (nommé ainsi en référence à l’ »Acme Novelty Library » de Chris Ware) est un groupe de recherche universitaire de Liège qui s’est plongé dans l’œuvre et l’histoire de l’Association, LA référence dans l’édition de bande dessinée indépendante. Si l’on osait une comparaison transdisciplinaire, on pourrait rapprocher la démarche, l’esthétique et l’impact en termes d’influences de l’Association sur la bd à ce qu’a pu représenter le label Dischord pour la musique dans les années 80 et 90.
En une vingtaine d’articles le livre revient ainsi sur la naissance de « L’hydre à 6 têtes » (initiée par Jean-Christophe Menu, qui restera sa tête pensante jusque très récemment) en 1990 (avec pour cofondateurs Lewis Trondheim, Mattt Konture, David B., Killoffer, Stanislas et Mokeït –ce dernier quittant cependant très rapidement le navire), ses influences (le Futuropolis de Robial ainsi que le label Bondage et les Béruriers noirs), sa politique éditoriale (rien moins que réformer la bande dessinée en faisant revenir les auteurs et leurs projets au premier plan, avant les « impératifs » de vente), son esthétique très littéraire, son évolution (avec le départ en 2005 de David B., suivi de Trondheim et Sfar, en désaccord avec Menu et la renaissance très récente – elle date d’il y a quelques mois- de l’éditeur avec le retour des historiques et le départ de Menu) mais aussi ses particularités narratives et graphiques (et notamment sa volonté de s’affranchir du langage habituel de la bd et d’expérimenter – pas étonnant, du coup, de retrouver bon nombre de membres de l’OuBaPo au catalogue de la maison) passées au crible dans des articles analytiques par moments un peu ardus mais très éclairants.
Un travail vraiment passionnant, magnifiquement illustré (les fans de l’Association trouveront ici un nombre incroyable de reproductions de couvertures, de documents rares, comme des lettres adressées aux adhérents, ou des extraits d’œuvres de l’hydre) en même temps qu’un bel hommage à un éditeur qui a obligé la bande dessinée européenne à sortir de sa torpeur au début des années 90, dont la démarche éditoriale a influencé (même si cela a été moins le cas ces dernières années) tant d’auteurs et de maisons d’édition et qui a aussi permis à une génération de dessinateurs très talentueux –les David B ; Trondheim, Sfar, Guibert et un peu plus tard Satrapi (pour n’en citer que quelques uns)- de voir le jour. Lecture fortement recommandée.
(Recueil d’articles d’histoire et d’analyse –Les impressions nouvelles)