Nouredine a toujours eu la colère inscrite dans les gènes. Depuis qu’enfant d’immigré algérien, on le traitait de bicot à l’école ou qu’ensuite, au boulot, sur les chantiers navals son chef lui mettait du lard dans sa gamelle…En fait, cette impression d’être toujours le bougnoule de service ne l’a jamais véritablement quitté! Et si son père n’a pas levé le petit doigt pour aider le F.LN. à libérer le pays et s’est même empressé de rejoindre la France une fois la victoire acquise, lui refuse de servir d’esclave aux français plus longtemps !
Surprise : le nouveau Baru est mis en images par un autre dessinateur : Pierre Place, que l’on avait découvert avec le très prometteur “Celle qui réchauffe l’hiver”, paru dans la collection Mirages de Delcourt. Un jeune auteur qui confirme ici tout le bien que l’on pensait de lui en livrant un travail graphique au style personnel qui a cependant l’intelligence de ne pas trop s’éloigner du style habituel de Baru. Certaines expressions de colère sur les visages de Nouredine ou de Giani semblent d’ailleurs directement sorties du stylo de son aîné.
Le reste décontenancera moins les fans de Baru. Car on retrouve dans “Le silence de Lounès” les thèmes de prédilection de cet enfant d’immigré italien lorrain d’adoption : le quotidien de la classe ouvrière et son nécessaire combat pour survivre face aux patrons, le déracinement des immigrés et la difficulté de se construire pour leurs enfants, la relation d’amour/haine qu’entretiennent avec leur pays ceux qui en sont partis ou les relations père/fils souvent compliquées. Baru mêle tout cela avec le brio qu’on lui connaît dans ce récit qui embrasse toute la vie d’un homme : celle de Nouredine, et même, à travers lui, celles de son père et de sa mère. Pour ce faire, la narration, très alerte et parfaitement maîtrisée, a souvent recours à l’ellipse et fait de fréquents allers et retours entre passé et présent pour enfin combler le non-dit depuis toujours de mise dans la famille Amrane et permettre aux lecteurs de comprendre pourquoi Lounès a toujours gardé le silence sur ce pays, l’Algérie, et les évènements qui l’ont poussé à le quitter. Un très bon récit, fort et engagé, à rapprocher des films de Guédiguian et de Bouchareb.
(Récit complet – Casterman)