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WOUZIT, La seconde vie du Grand rouge

On en avait parlé dans notre report : le Cabaret vert, ce n’est pas que de la musique, c’est aussi du cinéma, des conférences et… de la BD ! Et parmi les auteurs présents cette année, il y avait Wouzit, dont la première BD, Le Grand rouge, vient d’être rééditée (et entièrement redessinée pour l’occasion) chez Dupuis. On ne pouvait pas manquer l’occasion de le rencontrer pour lui poser quelques questions au sujet de l’un de nos coups de cœur de la rentrée…

Avant de parler de l’histoire d’Ivan, j’aimerais que l’on aborde l’histoire du livre lui-même qui est assez incroyable car c’est sa seconde vie…

C’est vrai. A l’origine, cet album est sorti chez Manolosanctis qui était une maison d’éditions née en 2009 et à la suite de sa sortie en avril 2011 la maison d’éditions a fait faillite et du coup la vie de l’album a été assez réduite à cause de ça et 10 ans plus tard, voulant un peu m’aérer l’esprit je me suis dit tiens je vais refaire 2 planches du Grand rouge pour voir ce que cela donnerait. Je les ai faites, je les ai partagées sur Instagram et une éditrice de chez Dupuis, Camille Grenier, qui avait connu Le Grand rouge à l’époque, m’a contacté et m’a demandé si cela m’intéresserait de le republier chez eux. Et j’ai accepté direct.

Au départ vous n’aviez donc pas comme objectif de ressortir une nouvelle version du Grand rouge ?

Non, c’était vraiment un exercice un peu perso pour voir comment j’avais pu évoluer dans mon dessin et aussi dans la construction de la page que j’avais un peu modifiée. C’était vraiment pour me faire plaisir.

Qu’est-ce qui vous chagrinait dans la première version du Grand rouge finalement ?

Déjà, j’avais 10-12 ans de recul par rapport à ce qui était plus ou moins ma première BD.

Première BD publiée, c’est ça ?

En fait, il y en avait une autre qui avait été signée avant Le Grand rouge mais dans une toute petite maison d’éditions et après, quand j’ai eu la possibilité de faire Le Grand rouge, j’ai privilégié ce projet et j’ai sorti l’autre après.

Quel était le titre de cette BD ?

Divins mortels qui est sorti chez Le Moule à gaufres. C’était de la vulgarisation. En gros, je reprenais des mythes de la mythologie grecque que j’adaptais sous forme humoristique avec des histoires de 6 à 10 pages. C’était un album qui devait faire 54 pages, je crois et qui avait été préfacé par Thomas Mathieu, un autre auteur de bande dessinée.

Vous disiez que vous avez en fait réaliser ces deux planches pour vous aérer l’esprit ?

Oui, en fait, je finissais le story-board d’un projet signé chez Sarbacane qui s’appelle Mexiques. C’était 300 pages de story-board que j’ai dû faire en 3-4 mois. Je n’ai fait que ça et je n’en pouvais plus de ne faire que du story-board et de réfléchir, en fait. J’avais juste besoin de faire du dessin. Même si mes story-boards sont un peu poussés cela reste un truc assez lâché et j’avais besoin de faire quelque chose de plus concret.

Vous ne bossez que sur le story-board pour Mexiques ?

Non, c’est moi qui dessine, colorise et tout. Après, c’est un projet qui prend un peu de retard. Il y a eu le Covid entre temps et puis c’est un projet qui demande beaucoup de temps et pour lequel j’ai une avance sur droits qui n’est pas faramineuse par rapport au volume de planches, ce qui fait qu’il faut que je comble financièrement avec d’autres projets, notamment du travail de commande. C’est pour ça que Mexiques a pris du retard mais c’est un projet qui va se faire, qui me tient à cœur.

Vous pouvez nous en dire quelques mots ?

J’ai fait des études d’histoire, j’ai commencé un master mais je me suis arrêté quand j’ai signé le contrat du Grand rouge et à l’époque j’avais eu des cours d’anthropologie et notamment sur la conquête du Mexique, les rapports entre les conquistadores et les indiens (à travers l’étude d’un livre de Tzetan Todorov ; La Conquête de l’Amérique : La Question de l’autre). Je me suis un peu passionné pour cette période de conquête et cela raconte ça. C’est 300 pages sur la conquête du Mexique. C’est historique mais romancé. Ça va d’avant la conquête, 1502, l’administration et la pacification d’Hispaniola jusqu’ à 1521 à peu près. C’est une fresque historique, chaque chapitre a un personnage. On suit un point de vue différent à chaque fois. Je n’ai pas voulu prendre parti sur qui sont les bons, qui sont les méchants, qui sont les envahisseurs, qui sont les pauvres qui sont trucidés…Il y a à chaque fois une vision de la conquête en fonction des personnages, si c’est un conquistador, si c’est Cortès, un autochtone, un maya, un aztèque…

On retrouve cet intérêt pour l’histoire du nouveau monde dans Le Grand rouge

Carrément. La découverte d’une île, la découverte d’un nouveau monde. J’avais certainement été influencé, lors de l’écriture, par les cours que j’avais eus à la fac. Le choc des cultures, le choc des nouveaux mondes. Et l’emprise d’un peuple sur un autre, quoi.

Et ce qu’ont fait les conquistadores de ce nouveau monde…

C’est ça. Ils ont trucidé pour mettre la main sur la force de travail, tout d’abord, et après l’or.

Le côté esclavagiste n’est pas forcément montré, par contre l’appât du gain l’est clairement…

L’appât du gain, la volonté d’enrichissement personnel aux détriments de l’autre. Et dans Le Grand rouge, c’est aux détriments de l’Humanité même…

Oui car ce que les personnages voient c’est les ressources et l’avantage qu’ils peuvent en tirer…

Pas Ivan, le personnage principal mais ceux pour qui il est là, oui, complètement.

Ce que j’ai beaucoup aimé dans le livre c’est cette narration qui alterne entre les scènes d’Ivan sur l’île et les flash-back qui expliquent pourquoi il est sur cette île. Cette alternance était déjà présente dans la première version pour qu’il y ait ce suspense, ce mystère qui persiste presque jusqu’au bout ?

Au niveau de la narration, je me suis inspiré du cinéma que j’aime beaucoup. Je ne lis pas beaucoup de BD mais je regarde énormément de films et j’aime bien les scénarios déconstruits. Je voulais tenter ça en bande dessinée. Il y en a peu. Dans le même style, au cinéma, il y a Memento de Nolan, où la narration est très particulière et où tout se joue là-dessus. J’aime bien aussi les films à retournement, à la Usual Suspects. C’était ça les influences, ce qui explique aussi pourquoi à la fin du Grand rouge il y a un twist. Cette complexité de l’écriture fait vraiment partie de l’histoire. Il y a aussi autre chose, qui se voit peut-être moins, mais les chapitres se répondent. On y trouve la même thématique. Par exemple, quand Ivan meurt sur l’île, bon je spoile un peu là, dans le chapitre qui suit, un flash-back, il est condamné à mort… Les chapitres fonctionnent à chaque fois comme ça. Quand il rencontre pour la première fois le grand rouge, dans le chapitre suivant il rencontre le pirate…

Il y a un jeu de miroirs…

Oui, plus ou moins, c’est ça. Mais je ne sais pas si cela se voit à la lecture…

Je ne l’avais pas remarqué de mon côté mais c’est super intéressant en tout cas. On sent aussi que vous avez un intérêt pour les personnages complexes et pas du tout manichéens.

C’est vrai que c’était une volonté. Ma thématique, c’était ça : la duplicité humaine. Là, j’ai d’autres projets en cours d’écriture et la thématique est la même. Mexiques, c’est aussi ça. Si je prends plusieurs points de vue, c’est aussi pour expliquer que selon d’où on se place, le bien, le mal, c’est dur à définir. Et que chacun en nous a une partie de sombre et de clair. Et en gros, Ivan, c’est un peu ça. C’est un personnage que j’ai essayé de faire sympathique, un peu plus dans la première version, parce que c’était un vœu de l’éditrice que je tempère ce côté sympa, mais il y a ce côté bon vivant, c’est un mec qui a l’air gentil, il sauve quand même, plus dans la première version où c’est vraiment voulu que dans la deuxième où c’est plus malgré lui, un indigent au début de l’histoire et finalement il va commettre l’irréparable. Et ils sont tous un peu pareils. Le pirate qu’il rencontre est très sympa sur le papier et en fait il envoie des mecs au casse-pipe. Il y a aussi ce soldat qui a l’air froid mais quand Ivan le sauve de la noyade il va améliorer son train de vie. Ils ont tous une partie sympa et une partie un peu plus sombre. Et souvent, c’est l’individualité qui fait que les choix sont pris.

A un moment on a l’impression qu’il va y avoir une rédemption pour Ivan, quand il est sur l’île mais en fait cela n’arrive pas car il est coincé. Il aurait pu faire un autre choix mais bon…

C’est vrai. En fait, le fait que l’on puisse penser à une rédemption me permet que la chute soit encore plus terrible pour le lecteur. C’est un peu fait exprès aussi qu’avant les évènements il y a une connivence, un lien d’amitié qui va se créer avec le grand rouge, cela me permet ensuite de porter un coup un peu plus rude au lecteur.

C’est vrai qu’on prend un bon coup derrière la tête à la fin.

Après, est-ce qu’il aurait pu faire un autre choix ? Oui, certainement, à plein de moments il aurait pu s’extirper mais il est à la recherche d’un mentor, Ivan. Le premier mentor qu’il a c’est William, au début de l’histoire puis ensuite il y a le pirate. Après je ne suis pas sûr qu’on le saisisse bien mais Ivan est un suiveur et donc il est influençable.

On retrouve cette duplicité, cette ambivalence dont vous parliez…

Carrément. En sous-thème, on a aussi l’aspect écologique parce qu’on a cette entité du grand rouge, qui est une matérialisation de la nature et de cet équilibre qu’il peut y avoir. Et comment l’homme peut influer sur cet équilibre, à tort ou à raison.

Du coup, j’ai l’impression que cette édition du Grand rouge a relancé votre désir de bande dessinée…

C’est vrai qu’il y a eu une période compliquée. J’ai sorti Le Grand rouge en 2011, la maison d’éditions a fait faillite 6 mois plus tard. Tout de suite après j’ai signé un contrat avec une autre maison d’édition, qui s’appelait Poivre et Sel, pour une série dont le titre était Darwin. C’était une série d’anticipation où la nature reprenait ses droits sur l’Homme et envahissait l’espace. Et donc il y avait comme un truc de zombies, post-apocalyptique mais avec des plantes. C’était la nature qui devenait hostile pour l’Homme et libérait des trucs bien dégueulasses et les animaux mutaient aussi. Et la maison d’éditions a fait faillite aussi, quelques mois après la sortie de l’album.

Le premier tome était sorti alors…

Oui c’est ça. J’avais signé pour trois tomes. Mais il devait y en avoir 6. On devait attendre la sortie des 3 premiers pour voir si on faisait la suite. Le premier triptyque était écrit et j’étais tellement frustré que cela s’arrête net et que mon histoire soit totalement incomplète. Il n’y avait qu’un tome sur les 3 et l’écriture était vraiment parti sur un triptyque, du coup j’étais vraiment très déçu. En plus, ça s’est mal passé avec la maison d’éditions. Je n’ai pas été payé.

Même pour ce premier tome qui est sorti ?

Ah non non. J’ai fait le boulot, ils ont vendu les albums et ils ne m’ont jamais payé sur les droits d’auteur ni sur l’avance sur droits. Donc ça m’a dégoûté un peu de la bande dessinée. J’avais fait deux albums, les deux albums sont morts dans l’œuf… A cette époque-là j’avais arrêté mes études. Je n’avais aucune ressource, je n’avais pas été payé pour l’album et il a fallu que je trouve un travail très vite. Au début, je faisais de la manutention, dans des centrales d’achat et après j’ai été surveillant pendant 6 ans.

En collège ?

Oui, en collège. Et je n’avais plus le temps. J’avais un trente heures semaine et je n’avais plus le temps pour la bande dessinée. Du coup, je faisais de l’illustration pour Milan et pour Tastemade, un groupe américain. Et j’ai ça fait pendant 10 ans.

Mais vous viviez de l’illustration ?

Ça a été un complément jusqu’à ce que j’arrête d’être surveillant, en 2017. Et depuis 6 ans je vis de l’illustration et de la bande dessinée parce que je fais davantage d’illustration pour la jeunesse chez Milan, Casterman et quelques commandes pour des agences de com comme INK LINK ou des entreprises (Les érudits). Mais plus pour la presse.

Et avec Le Grand rouge, côté BD, cela devrait décoller…

J’espère. La BD c’est un investissement qui est beaucoup plus intense que quand je fais de l’illustration pour la jeunesse et Milan. C’est aussi un temps qui est long. Quand je fais des livres pour la jeunesse, c’est un temps qui dure 3, 4, 5 mois maximum où je vais avoir que ça à faire, où je vais avoir des trucs à rendre avec la pression qui va avec mais la BD c’est un temps long de 1 an/1 an et demi. Je sais que pour Le Grand rouge j’ai adoré mais il faut un petit temps après, pour se remettre en selle, et là je suis en cours d’écriture sur des projets mais je n’ai pas envie de les démarrer là maintenant. Je me laisse un petit temps de 2-3 mois. Vers octobre si je peux signer un truc ce serait parfait.

On comprend bien que votre priorité, si vous aviez le choix, ce serait la BD mais avec la conjecture actuelle, et tous ces titres qui sortent, ce n’est pas facile. Il n’y a pas beaucoup de titres qui se vendent très bien et qui permettent à leurs auteurs d’en vivre. J’imagine que vous allez continuer à faire de l’illustration jusqu’à ce que vous puissiez vivre grâce à la BD…

C’est ça, c’est des problèmes économiques. Après, je ne crache pas sur l’illustration et les projets sur lesquels j’ai travaillé. J’ai travaillé pour Topo aussi, une revue et à chaque fois les expériences sont cool. Du coup, que ce soit en dessin ou en illustration si on me propose des projets qui me challengent un peu, où je me demande si je vais y arriver…Il faut des projets qui m’obligent un peu à me remettre en question. Après, faire les petits docs que je fais chez Milan ou des planches pour Topo pendant 10 ans mais ne faire que ça je m’emmerderai, c’est sûr. Ça deviendrait comme un travail d’usine. Ne pas faire de la BD n’est pas frustrant mais il faut que les projets proposés soient différents à chaque fois. Après c’est sûr que c’est un bonheur différent d’avoir son livre en librairie et de créer quelque chose qui nous appartient réellement.

Et qui est très personnel en plus.

Oui, c’est ça. Après, c’est à double tranchant aussi parce que…Là j’ai sorti Le Grand rouge et si cela ne fonctionnait pas je serais attristé mais cela ne serait pas la fin du monde parce que je n’ai pas que ça. J’ai aussi l’illustration derrière. Je pourrais rebondir mais un auteur qui ne fait que ça et qui a du mal à vendre je pense que c’est terrible.

Quand vous parliez de vos influences, vous disiez que le cinéma avait une part importante mais pas forcément la BD. Vous lisez si peu de BD que ça ?

J’en lisais beaucoup avant, j’ai arrêté. Là ça fait 10-15 ans que je ne lis plus du tout. J’en achète mais je ne les lis pas. J’ai un gros tas à lire. Après j’exagère un peu. Je lis quand même plus que le commun des mortels mais beaucoup moins. Là j’ai repris il y a peut-être 4 mois. J’en achète beaucoup, j’en lis beaucoup. Mais avant je pouvais en lire 1 ou 2 par jour. Et là je me suis beaucoup calmé. Pas sur les films, par contre. Je peux regarder 1 ou 2 films par jour, facile.

Et en BD quels sont vos auteurs fétiches. Quand ce n’est pas pour découvrir quelque chose de nouveau, vers quels auteurs retournez-vous régulièrement ?

J’ai beaucoup aimé Boucq, Frédérik Peeters, Larcenet. J’admire vraiment la courbe de progression et les changements qu’ils effectuent sur leurs livres. Peeters, je suis moins au courant de son évolution même si j’ai l’impression que cela change peu au niveau du dessin mais j’adore vraiment son dessin et la poésie qu’il y a. Il a quelque chose, une sensibilité dans son dessin, une façon de retranscrire les choses que j’aime beaucoup. Les trucs qui m’ont un peu influencé pour Le Grand rouge, c’est Léo, Aldebaran, avec ce monde fantastique et les exoplanètes. Gipi, j’adore aussi. Ça dépend des bouquins mais il y en a un, c’est vraiment plus le scénario. Ma vie mal dessinée, j’ai beaucoup aimé.

Son côté autobiographique ?

Oui. Le pari était risqué parce que c’est vraiment beaucoup de textes, il parle d’un truc vraiment perso et il y a des passages où, on ne sait plus trop pourquoi, il y a des pirates sur une île. Il y a un contraste, un parti pris au niveau de la narration, c’est vraiment audacieux. Et ça j’aime bien. En matière de bande dessinée, j’aime bien être surpris et que l’on m’amène vers un truc autre que pépère. Parce qu’en j’en ai beaucoup lues. Après, je comprends tout à fait que l’on aime des trucs plus classiques. On part d’un point A et on va vers un point B, on sait où on va et il n’y a pas trop de surprises. Après, l’auteur que j’ai aussi beaucoup aimé dans l’écriture, quand j’étais jeune, c’est celui (NDR : Bill Watterson) qui a fait Calvin et Hobbes. Là, j’en lis moins mais j’aimais beaucoup l’aspect littéraire. C’est abordable pour tout le monde mais si on cherche un peu les références, c’est très très bien écrit. Je lis peu de livres, de romans donc j’aime bien qu’en BD il y ait une écriture soutenue. Quand je dis tout ça cela ne veut pas dire que j’essaie de le faire. C’est les choses que j’aime vraiment en tant que lecteur…

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