
Fresque
peinte sur le Mur de Berlin (photo : Cyril)
Berlin.
Le 3 octobre, c'est la fête nationale allemande. Ici, pas de départ
en vacances, plutôt le signal qu'il faut sortir les vêtements
d'hiver. Un jour férié comme on préférait
en avoir en été. Et là, on remercie nos ancêtres
d'avoir pris la Bastille en plein mois de juillet, nous donnant ainsi
le signal pour partir en vacances. Quoiqu'il en soit, ici c'est le 3
octobre. De 1989 ou 1990 ?
Le mur est tombé le 9 novembre 1989. Manque de chance, c'est
aussi la "nuit des long couteaux" où les SS ont incendié
des synagogues, premier pogrom nazi contre les juifs en 1938. Mal choisi
pour une fête nationale. L'ambivalence de cette date a fait que
les Allemands ont préféré le 3 octobre 1990, date
de la réunification politique entre l'Allemagne de l'Ouest et
l'Allemagne de l'Est.
"Le 9 novembre
1989, j'étais dans une cave de la "Umweltbibliothek"
(Bibliothèque de l'environnement) où se trouvait la rédaction
et l'imprimerie du "Telegraph". En automne 89, c'était
le plus important journal d'opposition de Berlin-est. Le 9 novembre,
on finissait un nouveau numéro".
C'est Dirk Teschner qui parle, un des organisateurs de l'expo "ostPUNK
- Too much future. Punk in der DDR 1979-1989" qui s'est
tenue à Berlin pendant le mois de septembre, mais aussi un activiste
de la scène punk est-allemande avant la chute du mur. L'exposition
montrait des peintures, des dessins, des photos, des collages, des objets
et des éléments divers de la pop-culture (badges...).
En plus, on pouvait entendre des enregistrements originaux et forcément
rares de quelques groupes punk de RDA. C'est notre façon à
nous de parler de la réunification.
On avait prévu de se rencontrer dans un endroit qui, pour lui,
symbolisait cette époque et cette situation. Finalement, à
force de remettre cette rencontre, elle ne s´est pas encore faite
et on aura uniquement échangé par mail.
"Too much future" alors qu'à la même époque
en Angleterre, "No future" signifiait plutôt la résignation
des punks anglais plongés, notamment par dame Tatcher, dans la
misère sociale.
" "Too much future" n'était pas le slogan du mouvement
punk est-allemand. Nous avons choisi le titre de l'exposition afin d'attirer
l'attention sur la différence entre le punk est et ouest allemand.
En RDA, il n'y avait pas de problèmes sociaux pour les individus,
en revanche l'Etat planifiait trop leur vie - c'est notamment à
cela que s'opposait le punk."
Deux situations
différentes mais l'une pas forcément enviable à
l'autre. D'un côté une dictature socialiste surprotectrice,
de l'autre, un Etat qui se désengage très largement de
la vie de la gouvernance d'un pays. "Too much future" parce
qu'à cette époque et dans le milieu punk est-allemand,
il y avait une soif d'idéal, une volonté de changer les
choses, une envie d'exprimer un avis divergent à la doctrine
"-sans voir la RFA comme une alternative", prévient
Dirk.
"Le punk n'a pas eu de grande influence sur la société.
Le punk n'a pas causé la fin de la RDA mais il y a contribué".
Existant comme une sous-culture au départ, le punk prend petit
à petit une importance dans la contre-culture à la culture
officielle et devient un mouvement pas uniquement musical mais artistique
et voire plus : "Le punk était un mode de vie, une nouvelle
façon de vivre ensemble, il en sortait une nouvelle musique,
un nouvel art, des films différents. Il y avait un échange
fructueux et réciproque entre quelques punks et artistes. C'est
l'expressif et l'impulsif qui influençaient la scène artistique
indépendante du régime. Puis, quelques artistes ont facilité
la tenue d'expositions, etc. pour des punks". |
Alors "la
culture officielle de la RDA a essayé de détruire la
radicalité du mouvement punk" soit en les intégrant,
soit en renforçant le contrôle. "En 1984, un ordre
de la sécurité d'Etat voulait résoudre "le
problème des punks". Il y avait régulièrement
des arrestations dans la rue, des perquisitions sans mandat, des surveillances,
des mesures policières contre le public des concerts. En 1984,
on ciblait les punks pour les arrêter, les obliger à
s'engager dans l'armée ou on s'en débarrassait en acceptant
leur demande d'immigration en RFA. C'est pour cette raison que les
concerts de punk étaient organisés pour la plupart dans
des locaux paroissiaux." L'Eglise protestante a joué un
rôle majeur dans la résistance à la doctrine socialiste.
Dirk précise : "Là-bas, l'Etat n'y avait aucune
influence ni aucun contrôle".
Le rapprochement
avec des artistes pas forcément musiciens a fait que "parfois,
on essayait aussi d'organiser des concerts punks lors de vernissages
d'expo dans les ateliers d'artistes indépendants."
Dans ce contexte de "Punk=sous-culture, parti=dictature",
le mouvement ne pouvait que rester confidentiel : "Au début,
les enregistrements de cassettes de groupes punks étaient copiés
et diffusés de la main à la main. Plus tard, il y avait
quelques micro-labels de cassettes." Mais le plus important était
ailleurs : "Le punk était la forme la plus radicale de
distinction et de rébellion. Quand il y avait des manifestations
de soutien aux opposants au régime, il y avait toujours, jusqu'en
1989, des concerts de punk. C'était aussi le refus de la scène
hippie et de la vague disco."
Le punk est politique alors ? "Le punk de la RDA a toujours été
politique, peu importe s'il voulait l'être ou pas. Un punk pouvait
décider de ne plus être punk, mais celui qui continuait
à se définir en tant que tel avait automatiquement des
problèmes avec le régime." S'affranchir à
la fois de la doctrine du "Socialisme réaliste" de
l'Etat et de celle du marché, subir la surveillance incessante,
les pressions, les menaces de la Stasi, c'en était trop pour
certains. Attirés par les foudres de la culture officielle,
certains groupes ont décidé de sortir des caves et des
ateliers d'artistes. "Certains musiciens issus de la scène
punk voulaient jouer officiellement et cherchaient à gagner
de l'argent. Cela allait de pair avec la tentative de la culture officielle
de la RDA de détruire la radicalité des punks en les
intégrant. Très peu de groupes obtenaient la permission
de l'Etat de jouer officiellement. Il leur fallait changer de nom
et supprimer les paroles qui critiquaient le régime. Comme
ça, ils passaient à la radio et pouvaient jouer dans
des Jugendclubs (MJC)."
Dans la partie qui a refusé d'intégrer la culture officielle
jusqu'en 1989, "il y avait bien deux scènes différentes
qui se sont en partie entrecoupées. L'une s'est plutôt
voulue politique, l'autre artistique. La seconde a émergé
via ses différents avec la politique culturelle de l'Etat dans
des domaines aussi variés que la musique, l'écriture,
le cinéma, la peinture, etc. Les vrais groupes de punk qui
sont restés dans l'underground sont inconnus, encore aujourd'hui,
des jeunes de la RDA".

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