
Les squats berlinois se sont
construits sur un modèle tellement alternatif qu'ici la démocratie
veut vraiment dire quelque chose. Quelquefois, pour faire un article,
ça peut prendre du temps. Pour celui-là, ça aura
mis un mois.
J'ai rencontré Reinhold à une projection sur la Bethanien
Haus, un ancien hospice transformé en centre culturel municipal
(école de musique...) sur lequel plane la menace d'une privatisation.
Un des bâtiments annexe mais indépendant du centre culturel
est occupé par la Rauchhaus depuis 1971. C'est une maison que
tous les gens intéressés par la culture alternative et
les "squats" connaissent de sa longévité, du
fait qu'elle initiait une nouvelle façon de vivre ensemble et
lançait un mouvement qui a pris une importance dans les années
qui ont suivi.
Pour les fêtes, ce ne sont pas les meilleurs...
Rencontre avec Marianne, Reinhold et Carsten à la Rauchhaus.
La
Georg von Rauch Haus
"En décembre 1971, il y a eu un concert à la Technische
Universität de Berlin. C'est Ton Steine Scherben qui joue. A la
fin du concert, ils lancent un mouvement pour aller occuper le n°1
de la Mariannenplatz. En août, le n°13, une ancienne usine
avait déjà été occupée. C'était
le premier mouvement d'occupation de maison en RFA", commence Marianne.
La Rauchhaus sera la seule des deux à perdurer aujourd'hui. L'usine
a été démolie et remplacée par un immeuble
de logements.
"La maison était vide et quand une maison était vide,
elle risquait d'être détruite" dit Carsten. "Elle
faisait partie d'un ancien complexe hospitalier. A l'époque,
Berlin souffrait de spéculation immobilière, de scandales
financiers et de scandales politiques. Juste après Mai 68 et
le mouvement étudiant, des jeunes voulaient partir de chez leurs
parents, mais ne pouvaient pas se permettre de payer les cautions que
leur demandaient les propriétaires". Dans le même
temps, un mouvement d'occupation et d'appropriation de bâtiments
vides pour des projets de vie alternatifs débutait aux Pays-Bas.
"Les ouvriers rencontraient les mêmes difficultés
pour se loger. Le mouvement Hippie était fort à Berlin
comme ailleurs. Vivre en communauté était aussi un engagement
politique alors que l'Allemagne de l'Ouest reproduisait le modèle
occidental capitaliste et individualiste" continue Carsten. Alors
en décembre 1971, le n°1 de la Mariannenplatz est devenu
la Rauhhaus du nom de Georg von Rauch et est habitée depuis par
35 personnes. Georg Von Rauch était un activiste du "Mouvement
du 2 Juillet". Il était recherché par la police qui
l'a tué quelques temps avant l'occupation de cette maison qui
a pris son nom.
"La Rauchhaus n'est pas un squat, c'est une maison occupée",
disent les trois. "Ses occupants se sont organisés en association
et ont très vite signé un contrat avec la municipalité
de Berlin. Tous ses occupants devaient avoir une activité : soit
aller au lycée, à l'université, soit faire un apprentissage,
soit travailler" explique Marianne. "Le contrat spécifiait
que les occupants rénovaient le bâtiment en échange
de son habitation. Ce contrat n'empêchait pas les descentes de
police assez musclées, les perquisitions et les rafles".
Le loyer des chambres (de 16 à 50m2) est calculé selon
les mètres carrés de l'appartement. Il est divisé
en deux parties : paiement des charges communes (eau, électricité,
gaz...) et caisse commune pour l'entretien du bâtiment qui est
assuré par ses habitants.
Les
questions d'aujourd'hui
"Après une période creuse où les occupants
profitaient d'avantage des loyers peu élevés au détriment
de la vie et de l'entretien du bâtiment, l'arrivée de nouvelles
personnes depuis 5 ans fait que le projet social et culturel du lieu
est relancé. Elle propose à nouveau des activités
aux jeunes, organise des événements culturels, a des studios
de répétition, fait deux VoKu hebdomadaires (soupe populaire),
un marché aux puces mensuel et s'ouvre à l'extérieur
pour des fêtes, des Soli-Party (fêtes en solidarité
à une cause politique) et des concerts", explique Reinhold.
"Nous avons également une Gastzimmer (chambre d'amis) que
tout le monde peut louer de quelques nuits à deux semaines"
. Le prix est modique et elle est plutôt grande.
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"La Rauchhaus
ne vit plus forcément comme une communauté", reprend
Reinhold (tout le monde possède sa cuisine dans son appartement
- mais les sanitaires restent partagés). "Il y a des gens
ici à qui je n'ai pas grand chose à dire et d'autres
avec qui le courant passe mieux, mais on est tous d'accord pour faire
de cette maison un lieu ouvert sur l'extérieur, quelque chose
qui fait partie du paysage à Berlin et qui doit perdurer".
Le fonctionnement de la maison et les décisions engageant tout
le monde (organisations de fêtes, de concerts, dépenses
d'entretien, demande de nouveaux d'habiter dans la maison, départ
de fauteurs de troubles...) sont prises lors du Plenum hebdomadaire
du jeudi à 19h. Si vous voulez louer la chambre d'amis, il
y a une procédure simplifiée.
"Relancer les activités socio-culturelles et l'ouverture
sur l'extérieur s'impose alors que les dépenses municipales
pour les jeunes, le social et la culture diminuent. Par ailleurs,
Kreuzberg connaît un certain embourgeoisement de la population
(même s'il reste un quartier multi-culti) et la pression immobilière
se fait plus forte, deux facteurs qui pourraient handicaper la survie
de la Rauchhaus" dit Carsten.
Le contrat avec
la municipalité de Berlin arrive à terme dans deux ans.
Il était signé pour cinq ans. D'autant que le bâtiment
principal de l'ancien hôpital est désormais un centre
culturel sur lequel flotte une menace de privatisation. "Si la
Bethanien Haus est privatisée, la pression sur la Rauchhaus
s'accroîtra" ajoute Carsten. "Ce n'est pas aussi systématique"
pour Marianne : "Pour le moment, la ville de Berlin aime bien
la Rauchhaus et voit d'un bon oeil la relance de nos activités".
En plus, un comité de soutien au cas où le vent changerait
est créé : "Il est plus facile de virer 35 personnes
que de virer 35 personnes et un comité de soutien qui en compte
500" continue Marianne.
Donc, a priori, pas de risque que la Rauchhaus subisse le même
sort que la Yorck59 qui s'est fait expulsée cet été
et qui occupe désormais un autre bâtiment de l'ancien
hôpital. "La situation de la Yorck59 n'est pas la même
que celle de la Rauchhaus : ils occupaient un bâtiment appartenant
à la ville sans contrat. La ville l'a vendu à un propriétaire
privé qui leur a demandé de payer un loyer. Il ont refusé
et ils se sont fait virer".
Logique...
La Rauchhaus a encore un toit à refaire, la nouvelle peinture
du couloir et les chiottes du fond à réparer donc quelques
années devant elle. "Pas mal de nouveaux sont arrivés
avec l'envie de faire des choses, de prendre un nouveau départ".
Ils auraient aussi besoin d'un nouveau Dj.
S'en suit une séance photo du seul candidat dans sa modeste
demeure, une balade dans les couloirs et une invitation à leur
soli-party du 10 décembre puis une discussion sur la jeunesse
d'aujourd'hui dont les vieux diront qu'elle est rivée sur sa
Playstation, qu'elle regarde trop la télé et qu'elle
prend trop de drogue et dont les jeunes s'inquiéteront d'un
tel amalgame en regrettant que les jeunes d'avant soient devenus de
tels vieux schnoks...
Grand merci
à Marianne, Reinhold et Carsten

Georg
von Rauch Haus
Mariannen Platz 1A
10997 Berlin
Pour
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à Berlin : georg_v_rauchhaus@gmx.de
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