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LES CAHIERS RUSSES (Igort)

On connaissait le Igort féru de roman noir, avec l’excellent « 5 est le numéro parfait » (chez Casterman) ou « La ballade de Hambone » (avec Marzocchi, chez Futuropolis) ou mélomane averti (un goût notamment visible dans son diptyque « Fats Waller », avec Sampayo, également chez Casterman), et bien il faudra désormais s’habituer à un Igort plus engagé. En effet, depuis quelques années, l’auteur a décidé de s’intéresser de plus près à l’histoire de la Russie et plus particulièrement à ses zones d’ombre, à ses côtés violents et tragiques. Après « Les cahiers ukrainiens » (déjà paru chez Futuropolis en 2010), qui témoignait de l’Holodomor, la famine organisée par Staline en Ukraine en 1932, il s’est cette fois penché sur la Russie de Poutine et sa guerre en Tchétchénie.

Bien décidé à dénoncer la propagande officielle du pouvoir (qui mène dans le Caucase une « guerre contre le terrorisme ») et à montrer toute la brutalité et l’horreur dont est capable cette dictature déguisée en démocratie (les soviétologues la surnomment d’ailleurs « démocrature »), Igort a voyagé près de deux ans en Ukraine, Russie et Sibérie. Il est parti sur les traces d’Anna Politkoskaïa, journaliste au quotidien Novaïa Gazeta, assassinée dans l’ascenseur de son immeuble à Moscou en octobre 2006 car son travail gênait le pouvoir. Il a refait comme elle la route jusqu’en Tchétchénie, a rencontré sa traductrice en France, Galia Ackerman, et a relu les témoignages des gens de là-bas ou de soldats russes pour mettre en lumière les camps de filtrage (une nouvelle version des goulags staliniens), les zatchistras (opérations de nettoyage de villages tchétchènes durant lesquelles les soldats russes ont quasiment carte blanche –violences arbitraires, viols, tortures- pour trouver des « rebelles ») ou les exécutions sommaires.

Un récit dur (sous le trait fin d’Igort, la plupart des protagonistes, hagards, visages creusés, ressemblent d’ailleurs à des spectres errants) mais édifiant qui, grâce à un travail de documentation poussé, met véritablement à nue une Russie qui a décidément bien du mal à sortir de la spirale de violence dans laquelle elle est enfermée depuis des décennies. Et rend, en creux, un magnifique hommage à Anna Politkoskaïa et, à travers elle, à tous ceux qui meurent et souffrent parce qu’ils luttent pour les Droits de l’Homme. Indispensable !

 

(Récit complet – Futuropolis)