Steh Auf Berlin (Debout Berlin), est une chronique de la vie sociale, culturelle et politique berlinoise. Elle a pour but de nous faire découvrir cette ville de l'intérieur, de nous faire voyager, de nous faire comprendre ce qui passe dans cette capitale différente des autres.

#8 KÖPI BLEIBT!
La vie d’un squat n’est pas un long fleuve tranquille
AVRIL.2008

Ceux qui connaissent le Köpi à Berlin savent à quel point il signifie à lui seul un pan de l’histoire des squats berlinois. De 18 années de concerts, de fêtes, de soirées ciné, de tournoi de babyfoot, de Volksküche, il ne pouvait pas sortir indemne et nombre de Converse et autre Doc Martens connaissent d’elles-mêmes le chemin pour y aller.

New days rising
L’histoire du Köpi, c’est celle de l’ouverture et à elle seule, elle raconte l’évolution d’une ville enclavée à une capitale, et tout ce que cela suppose en termes de pression immobilière et de donner à voir.
À la frontière de deux quartiers, l’un à l’Est (Mitte) et l’autre à l’Ouest (Kreuzberg), un immeuble est voué à la démolition par ses propriétaires. Nous sommes au début des années 90 et cet immeuble, c’est le 137 de la Köpenickerstraße. Parce qu’il n’y a aucune raison de démolir cette maison et parce que des activistes de la scène autonome cherchent un endroit où mettre en pratique leur vision d’un vie communautaire alternative, où offrir un espace à la musique qu’ils aiment et simplement donner vie à un lieu et à un quartier qui a connu 30 ans de surveillance politique, elle est occupée.
Mais cette occupation est une histoire à rebondissements et celui du printemps dernier n’en est qu’un énième. Lorsqu’en 1991, le sénat berlinois réunifié veut mettre un terme à la vague d’ouverture de squats en expulsant la Mainzer Straße et que la menace de l’expulsion du Köpi est brandie, une table ronde est organisée pour trouver des solutions pacifiques aux squats du quartier.
Durant l’été, un accord est trouvé avec les propriétaires des espaces que le Köpi occupe et gère collectivement. Cet accord contient notamment une autonomie en termes de travaux et de rénovation, ainsi que des contrats de location individuels.

20 ans de tentatives de délogement
En 1993, les contrats sont transmis à la GSE, une antenne locale chargée du développement urbain.
Le 1er octobre 1995, les contrats changent à nouveau de main pour arriver chez un autre gérant « Peterson und Partner KG » et, pile une année plus tard, la résiliation sans préavis de tous les contrats de location, ainsi que l’injonction de quitter les lieux dans la semaine, est annoncée à tous les occupants.
Ni la première ni la seconde injonction (arrivée en novembre 1995) ne sont suivies d’effets.
Peterson und Partner KG a pour projet de moderniser et de transformer en bureau et appartements de luxe l’immeuble du Köpi. Le projet tombe à l’eau peu de temps plus tard car l’entreprise fait faillite. Par contre, les créanciers de Peterson et Cie font mettre le Köpi en vente par adjudication via le tribunal d’instance de Mitte. Ce dernier tentera à quatre reprises à partir de 1999 de vendre le Köpi aux enchères et de recouvrer au moins une partie de la dette de Peterson und Partner KG qui s’élève à 2,5 millions d’euro, dont plus d’1 million reviendrait à la Commerzbank.
La Commerzbank perd très vite l’envie de continuer la gérance très coûteuse du bâtiment et c’est ainsi que la tâche est retournée à « Peterson und Partner KG », qui n’est toujours pas solvable. Ils tentent encore une fois, par l’intermédiaire d’un fondé de pouvoir, d’envoyer des gens intéressés par l’achat de la maison mais aucun acheteur ne donne suite.
En janvier 2007, la Commerzbank trouve un accord avec le tribunal d’instance de Mitte pour la vente par adjudication du bâtiment voisin du Köpi, dont elle est restée propriétaire. Comme il y avait déjà eu des discussions avec les acheteurs potentiels, les créanciers du lot situé au 133-136 de la Köpenickerstraße (où se trouve la Wagenburg) ont été approchés, de façon plus ou moins discrète, pour s’entendre sur une date commune pour toutes les ventes aux enchères.
C’est ainsi que les spéculateurs immobiliers se sont retrouvés avec un terrain de plusieurs milliers de mètres carrés, qui promet d’être des plus lucratifs. En effet, un énorme projet urbain, dont Berlin a le secret, commence à émerger sur les rives de la Spree. Il s’appelle Media Spree.
La tentative de vente de janvier 2007
Malgré toutes les initiatives s’opposant à la vente aux enchères, elle a eu lieu en janvier 2007 pour 1,6 millions d’euros. C’est un peu plus que la moitié de ce à quoi l’expert du tribunal avait estimé le terrain.


L’acheteur officiel s’appelle Besnik Fichter. Son entreprise d’immobilier est ce qu’on appelle une entreprise de réserve. L’objectif est de permettre une capacité d’action immédiate à ses clients sans même avoir à créer une entreprise ou une société. Il s’avère que derrière cet acheteur et son entreprise, il y a une entreprise du nom de Plutonium 114 dont le PDG est Besnik Fichter.
Plutonium 114 dépend de l’empire Nehls, une dynastie de l’immobilier dont les dirigeants, Nehls père et fils, sont connus pour être peu scrupuleux.
C’est suffisant pour que le bureau du procureur finisse par prêter attention au manège des différentes entreprises où intervient Siegfried Nehls et il ordonne en juin 2007 la perquisition de 25 de ses bureaux. Selon le porte-parole du ministre régional de la justice, 25 cartons de pièces à conviction ont été saisis. Elles doivent désormais être examinées.
Les techniques des boursicoteurs immobiliers sont particulièrement bien connues : des hommes de paille sont engagés comme promoteurs. Ils engagent de petites entreprises d’artisanat en sous-traitance. Une fois les travaux de réhabilitation terminés, les promoteurs se mettent en faillite sans payer les artisans qu’ils ont engagés. Leur folie des grandeurs est également bien connue : l’acheteur officiel Besnik Fichter a annoncé, en dépit de l’enquête en cours, qu’il avait l’intention de faire construire, sur le terrain du Köpi, des villas de luxe avec des « mouillages pour les bateaux ». Qui connaît l’emplacement du Köpi ne peut que sourire à cette idée.

Epilogue temporaire
Plus que jamais, cette histoire nous envoie en plein visage nos questions d’activistes, peu importe le domaine :
Dans quelle ville voulons-nous vivre ? Le projet Media Spree prévoit l’accueil d’entreprises spécialisées dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Derrière la façade au nom tape à l’œil, ce sont des calls-center à horaires extensibles et friands de salariés très flexibles, c’est O2 Arena, salle de spectacle de 17.000 places qui deviendra certainement le débouché idéal pour les artistes d’Universal tout proche, c’est le siège social de BASF, fleuron chimique de la pollution industriel ;
Quelle culture voulons-nous ? En face de cette salle de 17.000 places, le Köpi : plus de 1.000 concerts depuis son ouverture en 1991, au rythme de 3 à 4 par semaine. Pas que du bon certes mais au moins pour tous les goûts et une diversité que cette grande salle n’offrira jamais ;
Quel logement voulons-nous ? Libre à vous de choisir entre un habitat communautaire et autogéré, un appart modeste mais à votre goût ou un loft de luxe avec accès privé à la marina.
Et oui, la vie c’est tout ça ! C’est le centre et la marge, c’est l’acceptation des différences mais c’est aussi une certainement considération de l’autre et de sa façon d’envisager l’existence.
N’est-ce pas M. Nehls ?

La lutte est perpétuelle :
http://april2008.squat.net:8080
Une contre initiative existe ; elle s’appelle Media Spree Versenken (« Couler Media Spree »). Tous les immeubles blancs de cette image sont prévus à la construction si le projet passe.
Par exemple, lorsque quelques habitant(e)s font une visite de courtoisie à la famille Nehls en mai 2007 afin de clarifier un certain nombre de d’interrogations quant aux revendications de propriété du Köpi, ils sont priés d’entrer par l’époux de Renate Nehls. Dans le même temps, le fils, Thorsten Nehls, appelait la police et faisait arrêter les visiteurs.
Autre exemple : Une autre entreprise de la nébuleuse Nehls, la Greta AG est soupçonnée d’avoir triché sur le cours de son action, dans le but de faire gagner de la valeur à son titre en bourse.

texte : [gildas]
photos : [nada]

 

 

 

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