Ceux qui connaissent le Köpi à Berlin savent
à quel point il signifie à lui seul un pan de l’histoire
des squats berlinois. De 18 années de concerts, de fêtes,
de soirées ciné, de tournoi de babyfoot, de Volksküche,
il ne pouvait pas sortir indemne et nombre de Converse et autre Doc
Martens connaissent d’elles-mêmes le chemin pour y aller.

New
days rising
L’histoire du Köpi, c’est celle de l’ouverture
et à elle seule, elle raconte l’évolution d’une
ville enclavée à une capitale, et tout ce que cela suppose
en termes de pression immobilière et de donner à voir.
À la frontière de deux quartiers, l’un à
l’Est (Mitte) et l’autre à l’Ouest (Kreuzberg),
un immeuble est voué à la démolition par ses propriétaires.
Nous sommes au début des années 90 et cet immeuble, c’est
le 137 de la Köpenickerstraße. Parce qu’il n’y
a aucune raison de démolir cette maison et parce que des activistes
de la scène autonome cherchent un endroit où mettre en
pratique leur vision d’un vie communautaire alternative, où
offrir un espace à la musique qu’ils aiment et simplement
donner vie à un lieu et à un quartier qui a connu 30 ans
de surveillance politique, elle est occupée.
Mais cette occupation est une histoire à rebondissements et celui
du printemps dernier n’en est qu’un énième.
Lorsqu’en 1991, le sénat berlinois réunifié
veut mettre un terme à la vague d’ouverture de squats en
expulsant la Mainzer Straße et que la menace de l’expulsion
du Köpi est brandie, une table ronde est organisée pour
trouver des solutions pacifiques aux squats du quartier.
Durant l’été, un accord est trouvé avec les
propriétaires des espaces que le Köpi occupe et gère
collectivement. Cet accord contient notamment une autonomie en termes
de travaux et de rénovation, ainsi que des contrats de location
individuels.
20 ans de tentatives de délogement
En 1993, les contrats sont transmis à la GSE, une antenne locale
chargée du développement urbain.
Le 1er octobre 1995, les contrats changent à nouveau de main
pour arriver chez un autre gérant « Peterson und Partner
KG » et, pile une année plus tard, la résiliation
sans préavis de tous les contrats de location, ainsi que l’injonction
de quitter les lieux dans la semaine, est annoncée à tous
les occupants.
Ni la première ni la seconde injonction (arrivée en novembre
1995) ne sont suivies d’effets.
Peterson und Partner KG a pour projet de moderniser et de transformer
en bureau et appartements de luxe l’immeuble du Köpi. Le
projet tombe à l’eau peu de temps plus tard car l’entreprise
fait faillite. Par contre, les créanciers de Peterson et
Cie font mettre le Köpi en vente par adjudication via le tribunal
d’instance de Mitte. Ce dernier tentera à quatre reprises
à partir de 1999 de vendre le Köpi aux enchères et
de recouvrer au moins une partie de la dette de Peterson und Partner
KG qui s’élève à 2,5 millions d’euro,
dont plus d’1 million reviendrait à la Commerzbank.
La Commerzbank perd très vite l’envie de continuer la gérance
très coûteuse du bâtiment et c’est ainsi que
la tâche est retournée à « Peterson und Partner
KG », qui n’est toujours pas solvable. Ils tentent encore
une fois, par l’intermédiaire d’un fondé de
pouvoir, d’envoyer des gens intéressés par l’achat
de la maison mais aucun acheteur ne donne suite.
En janvier 2007, la Commerzbank trouve un accord avec le tribunal d’instance
de Mitte pour la vente par adjudication du bâtiment voisin du
Köpi, dont elle est restée propriétaire. Comme il
y avait déjà eu des discussions avec les acheteurs potentiels,
les créanciers du lot situé au 133-136 de la Köpenickerstraße
(où se trouve la Wagenburg) ont été approchés,
de façon plus ou moins discrète, pour s’entendre
sur une date commune pour toutes les ventes aux enchères.
C’est ainsi que les spéculateurs immobiliers se sont retrouvés
avec un terrain de plusieurs milliers de mètres carrés,
qui promet d’être des plus lucratifs. En effet, un énorme
projet urbain, dont Berlin a le secret, commence à émerger
sur les rives de la Spree. Il s’appelle Media Spree.
La tentative de vente de janvier 2007
Malgré toutes les initiatives s’opposant à la vente
aux enchères, elle a eu lieu en janvier 2007 pour 1,6 millions
d’euros. C’est un peu plus que la moitié de ce à
quoi l’expert du tribunal avait estimé le terrain.
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L’acheteur
officiel s’appelle Besnik Fichter. Son entreprise d’immobilier
est ce qu’on appelle une entreprise de réserve. L’objectif
est de permettre une capacité d’action immédiate
à ses clients sans même avoir à créer une
entreprise ou une société. Il s’avère que
derrière cet acheteur et son entreprise, il y a une entreprise
du nom de Plutonium 114 dont le PDG est Besnik Fichter.
Plutonium 114 dépend de l’empire Nehls, une
dynastie de l’immobilier dont les dirigeants, Nehls père
et fils, sont connus pour être peu scrupuleux.
C’est suffisant pour que le bureau du procureur finisse par
prêter attention au manège des différentes entreprises
où intervient Siegfried Nehls et il ordonne en juin 2007 la
perquisition de 25 de ses bureaux. Selon le porte-parole du ministre
régional de la justice, 25 cartons de pièces à
conviction ont été saisis. Elles doivent désormais
être examinées.
Les techniques des boursicoteurs immobiliers sont particulièrement
bien connues : des hommes de paille sont engagés comme
promoteurs. Ils engagent de petites entreprises d’artisanat
en sous-traitance. Une fois les travaux de réhabilitation terminés,
les promoteurs se mettent en faillite sans payer les artisans qu’ils
ont engagés. Leur folie des grandeurs est également
bien connue : l’acheteur officiel Besnik Fichter a annoncé,
en dépit de l’enquête en cours, qu’il avait
l’intention de faire construire, sur le terrain du Köpi,
des villas de luxe avec des « mouillages pour les bateaux ».
Qui connaît l’emplacement du Köpi ne peut que sourire
à cette idée.
Epilogue
temporaire
Plus que jamais, cette histoire nous envoie en plein visage nos questions
d’activistes, peu importe le domaine :
Dans quelle ville voulons-nous vivre ? Le projet Media Spree
prévoit l’accueil d’entreprises spécialisées
dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Derrière la façade au nom tape à l’œil,
ce sont des calls-center à horaires extensibles et friands
de salariés très flexibles, c’est O2 Arena, salle
de spectacle de 17.000 places qui deviendra certainement le débouché
idéal pour les artistes d’Universal tout proche, c’est
le siège social de BASF, fleuron chimique de la pollution industriel ;
Quelle culture voulons-nous ? En face de cette salle de 17.000
places, le Köpi : plus de 1.000 concerts depuis son
ouverture en 1991, au rythme de 3 à 4 par semaine. Pas que
du bon certes mais au moins pour tous les goûts et une diversité
que cette grande salle n’offrira jamais ;
Quel logement voulons-nous ? Libre à vous de choisir entre
un habitat communautaire et autogéré, un appart modeste
mais à votre goût ou un loft de luxe avec accès
privé à la marina.
Et oui, la vie c’est tout ça ! C’est le centre
et la marge, c’est l’acceptation des différences
mais c’est aussi une certainement considération de l’autre
et de sa façon d’envisager l’existence.
N’est-ce pas M. Nehls ?

La lutte
est perpétuelle :
http://april2008.squat.net:8080
Une contre initiative existe ; elle s’appelle Media
Spree Versenken (« Couler Media Spree »).
Tous les immeubles blancs de cette image sont prévus à
la construction si le projet passe.
Par exemple, lorsque quelques habitant(e)s font une visite de courtoisie
à la famille Nehls en mai 2007 afin de clarifier un certain
nombre de d’interrogations quant aux revendications de propriété
du Köpi, ils sont priés d’entrer par l’époux
de Renate Nehls. Dans le même temps, le fils, Thorsten Nehls,
appelait la police et faisait arrêter les visiteurs.
Autre exemple : Une autre entreprise de la nébuleuse Nehls,
la Greta AG est soupçonnée d’avoir
triché sur le cours de son action, dans le but de faire gagner
de la valeur à son titre en bourse.
texte : [gildas]
photos : [nada]
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