Il y a souvent une rencontre à l’origine des livres de Maximilien Le Roy : humaine comme celle de Mahmoud Abu Srour qui lui donna envie d’écrire « Faire le mur » (paru chez Casterman), récit de l’intérieur sur la vie des palestiniens, prisonniers sur leur propre territoire ou littéraire, en l’occurrence un script que Michel Onfray avait au départ écrit pour le cinéma, qui le poussa à raconter la vie de Nietzsche et sa soif d’absolu et de liberté dans « Nietzsche » (chez Delcourt). Cette fois encore, c’est le récit d’un destin hors du commun raconté dans « De l’Indochine coloniale au Vietnam libre » (aux éditions les Indes savantes) par Albert Clavier lui-même qui l’incita à rencontrer ce vieux monsieur et à s’emparer de son histoire extra ordinaire.
Celle d’un jeune engagé volontaire dans l’engouement de la libération de 1945 qui se retrouve parachuté en Indochine pour assurer le « rôle civilisateur de la France dans ce pays ». Arrivé sur place, le jeune homme d’à peine 20 ans, frère de résistant communiste, se rend alors compte que les troupes coloniales ne font en fait que reproduire ce que les nazis leur ont fait subir quelques années plus tôt sur leur propre territoire. Exécutions sommaires pour l’exemple, tortures, rafles, têtes de combattants vietminh fichées sur des piquets : anéanti par ce dont il est témoin chaque jour, Albert Clavier s’arrange pour être nommé dans les bureaux, à la comptabilité. Son malaise grandissant, la rencontre de Bat, habitant de Lang Son et l’impunité avec laquelle les soldats continuent à commettre viols et autres exactions (les supérieurs ferment les yeux voire les cautionnent) le poussent un peu plus tard à rejoindre la résistance vietminh…
Le Roy, c’est vraiment une voix à part dans le monde de la bande dessinée. Une voix dissonante, décalée, différente. Du genre à appuyer là où ça fait mal. Qui n’a que peu d’équivalents, Philippe Squarzoni, Joe Sacco et quelques autres exceptés. Une voix ô combien nécessaire quand on songe à cette proposition de loi émanant de l’UMP en 2005 visant à réhabiliter le colonialisme et à mettre en valeur son rôle positif ! Voilà pourquoi ce jeune auteur (il n’a que 25 ans !) s’est emparé, comme à son habitude, avec une passion, une fougue et une conviction communicatives, du parcours incroyable de Clavier (qui n’a finalement fait que respecter sa patrie en restant fidèle à ses idéaux : Liberté, Egalité, Fraternité et qui a pourtant été condamné à mort par contumace par l’état français pour désertion à l’ennemi) pour redire et montrer de son trait charbonneux fragile et sensible (le dessin, sans encrage, est simplement rehaussé d’aplats de vert kaki), une bonne fois pour toutes on l’espère, que le système colonialiste, fait de racisme, d’exploitation et de répression, était juste atroce !
Magnifique hommage au courage et au sacrifice (il a mis en danger sa famille restée en France par ses choix) d’un homme, « Dans la nuit la liberté nous écoute » livre également une réflexion pertinente et profonde sur les notions de patriotisme, de terrorisme (les résistants français sont des héros dans l’Histoire officielle parce qu’ils défendaient leur pays alors que les combattants du Vietminh que les soldats français avaient en face d’eux étaient des terroristes sanguinaires) ou de trahison. Un vibrant plaidoyer pour la désobéissance civique par un auteur qui est devenu indispensable en seulement quelques livres.
(BD –le lombard)