On l‘aime vraiment bien cette collection « Contre/Champ » et c’est à chaque fois un grand plaisir de découvrir l’une de ses nouvelle sorties. Après « Nietzsche » et « Thoreau », Maximilien Le Roy a cette fois décidé de suivre la trajectoire de Paul Gauguin, avec toujours cette volonté affichée de montrer le Gauguin moins connu, celui que l’on raconte rarement, voire jamais, dans les livres ou les documentaires. Le Gauguin qui se cache en fait derrière le peintre des vahinés exilé en Polynésie sur la fin de sa vie.
Dans « Loin de la route », Le Roy s’est donc concentré sur les 2 dernières années de sa vie, de son arrivée sur l’île d’Hiva Oa dans les Marquises, en 1901, jusqu’à sa mort le 8 mai 1903. Deux années de souffrances (le peintre est certainement mort d’une overdose de morphine qu’il prenait pour soigner son eczéma et soulager ses douleurs) que l’on revit à travers la quête de Victor Segalen, poète venu sur place 3 mois après la mort de l’artiste pour rencontrer ses proches et voir où il vivait et comprendre cet homme mystérieux fuyant le monde « soi-disant civilisé pour ne fréquenter que les soi-disant sauvages ».
On y découvre un personnage complexe, défendant les droits des indigènes contre l’état colonial, se rebellant contre les missionnaires venus évangéliser ces îles et provoquant ouvertement les gendarmes (il écopera d’ailleurs, à cause de cela, d’une peine de 3 ans de prison !), symboles à ses yeux de la menace la plus importante qui soit pour sa liberté. Pour la liberté. Mais aussi, et c’est ce que l’on apprécie chez Le Roy, qui propose toujours des portraits nuancés des auteurs ou artistes qu’il peut admirer, ses zones d’ombre (ses relations avec de jeunes femmes, de 14 ou 15 ans, même si cela était courant dans ces îles à l’époque, son côté torturé et égoïste -il avait laissé derrière lui, en Europe, ses 5 premiers enfants pour poursuivre son œuvre- ou ses penchants alcooliques), sa vision de l’art, qui doit selon lui se libérer de tout carcan académique, ou son inspiration retrouvée lors de ses derniers mois de vie.
Un Gauguin notamment libertaire et fort en gueule que l’on ne soupçonnait pas, il faut l’avouer, auquel Gaultier, d’un trait épais et spontané (il a décidé pour cela de changer de technique et de sauter l’étape des crayonnés !), donne véritablement corps, saisissant avec brio son caractère bouillonnant, sa présence charismatique ou sa lente déchéance physique. Une belle réussite !
(Récit complet – Le Lombard)