BD. Est-ce parce qu’il a commencé par faire de la bd avant de se lancer dans la télé puis l’écriture ? En tout cas, on le sait, les romans de Jean Teulé se prêtent formidablement bien à l’adaptation en bande dessinée. Du coup, après Le Montespan, Je, François Villon ou Le magasin des suicides, le romancier n’a cette fois même pas attendu d’avoir terminé son nouveau roman pour demander à Richard Guérineau (qui avait déjà adapté, de façon remarquable, Charly 9) de travailler à son adaptation.
Et Entrez dans la danse clôt d’une certaine façon une trilogie de Guérineau dans la collection Mirages, si l’on y ajoute Henriquet. En effet, ce nouveau roman graphique ne se déroule que 54 ans après la Saint-Barthélémy et Charly 9. Et au-delà de cette proximité temporelle, on retrouve ici le ton décalé si particulier, véritable signature de son écriture, de Teulé, qui mêle de nouveau passages totalement burlesques (les scènes de danse totalement improbables où des soldats tentent de nourrir les danseurs pris dans la folie des corps jusqu’à s’ébattre dans leurs propres déjections) et scènes d’une violence inouïe (comme au début quand Enneline jette son bébé à l’eau parce qu’elle n’a plus rien à lui donner à manger ou, bien sûr, la scène qui met en images le pèlerinage, “solution” trouvée par l’évêque, Guillaume de Honstein, pour stopper cette “peste dansante”). Comme si l’humour était le seul remède à la folie des hommes (le récit est basé sur des faits réels, à part la fin…). Du coup, on passe par toutes les émotions à la lecture d’Entrez dans la danse : on s’amuse souvent, de bon cœur, mais parfois on rit jaune, à la limite de la nausée, notamment lorsqu’on comprend quel plan l’évêque a mis sur pied pour éradiquer cette épidémie de danse (il y eût jusqu’à 2000 danseurs, sur une population totale de 16 000 habitants, qui rejoignirent la danse, probablement pour oublier la misère et les malheurs -la région avait connu des vagues de sécheresse successives qui provoquèrent famine et maladies) qui toucha Strasbourg à l’époque.
Drôle et terrifiant, Entrez dans la danse est également une critique virulente des responsables politiques et, surtout, religieux (dont le mépris pour les gens du peuple est ici patent), parfaitement adaptée, une nouvelle fois, par Guérineau dont le traitement graphique bivalent (un encrage net et une mise en couleur propre lorsqu’il met en scène le maire, les notables et les autorités religieuses et l’utilisation de fusains et un trait au crayon plus rugueux lorsqu’il met en images les gens du peuple) souligne encore un peu plus le fait que peuple d’un côté et clergé et nobles de l’autre ne vivaient décidément pas vraiment dans le même monde. Let’s dance !
(Récit complet, 96 pages – Delcourt/Mirages)