BD. Emmanuel Lepage a eu envie de collaborer de nouveau avec son ami René Follet. Celui-ci, désormais octogénaire, n’a plus envie de se lancer dans un projet au long cours. Les 2 hommes optent donc pour un recueil traitant de grands récits de mer qui les ont marqués et influencés. Avec une mise en page en tête : un extrait sur la page de gauche et à droite une illustration (on retrouve quelques pages de ce projet originel en bonus, à la fin du livre!). De L’île au trésor et Le vieil homme et la mer pour Follet ; de Moby Dick et Pêcheur d’Islande pour Lepage. Problème : l’éditeur, Daniel Maghen, n’adhère pas au projet ! Il aimerait une histoire permettant de regrouper tous ces dessins. Lepage se remet au travail, sans vraiment trouver de solution. Jusqu’à ce que l’idée des Voyages de Jules ne surgisse : le journal intime de Jules Toulet qu’il tint au cours de ses nombreux voyages maritimes et dans lequel il s’adresse à celle qu’il aime mais qui se dérobe à lui : Anna. Un carnet de bord où il lui raconte ce qu’il aurait aimé lui confier, sur l’oreiller, après avoir fait l’amour. Il y explique ce qui l’a poussé à peindre, y parle, aussi, de ses parents, dont il est si proche. De l’amour des livres que son père aimant lui a transmis. De sa mère muette (elle ne parlait pas et Jules dût attendre d’être adulte pour savoir pourquoi) qui l’encouragea à peindre. De ses nombreux voyages et des rencontres qu’elles provoquèrent. De son amitié avec Ammôn Kasacz, peintre qui joua un rôle important dans sa formation de peintre mais aussi d’homme. Des livres qui l’ont marqué à jamais. Et de ce lien, fort, entre eux deux que jamais rien ne pourra briser. Une longue lettre accompagnée de nombreux dessins et peintures réalisés par Toulet mais aussi Kasacz et parfois entrecoupée de lettres d’Anna et d’Ammôn que Jules a voulu placer ici, comme pour les garder proches de lui.
Un prétexte, bien sûr, pour prolonger le plaisir de ces Voyages (il y avait eu Les Voyages d’Ulysse et Les Voyages d’Anna auparavant) avec Sophie Michel (qui a été sa compagne) et René Follet, son maître en dessin et, aussi, boucler la boucle (non, il n’y aura pas de suite à ces Voyages, et on ne saura jamais, par exemple, si Salomé retrouvera son amoureuse…). Et de quelle façon ! Car ce dernier opus est une nouvelle fois extraordinaire. Pourtant sa forme, plus libre -une longue lettre (de près de 140 pages) illustrée- n’était pas sans risques. Mais grâce à l’aide de Vincent Odin, un graphiste, et d’Aurélie Tièche qui a calligraphié l’ensemble des 160 pages juste avant le bouclage, Lepage a trouvé beaucoup d’idées pour rendre le tout plaisant et même beau à regarder : en soulignant certaines phrases, en écrivant certains mots plus gros, en ajoutant de petits dessins ou des notes dans la marge, comme on le ferait naturellement dans notre propre journal. Et il y a, bien entendu, les illustrations signées Lepage (qui opte souvent pour des aquarelles quand les dessins sont grands et pour des crayons ou de l’encre quand ils sont plus petits et rapides) et Follet (qui préfère l’acrylique) qui sont incroyables. Magnifiques visuellement (inutile de préciser que l’édition est aussi soignée que d’habitude…) mais surtout pleins de vie et de mouvement. Vibrants. Vrais. Un régal pour les yeux (on passerait bien de longues minutes à les contempler mais il faut tout de même poursuivre la lecture de la lettre de Jules…) que ces Voyages de Jules qui dévoilent quelques secrets de la vie de son auteur mais nous parle aussi, en filigrane, de Lepage, Follet et Michel car cette dernière, qui s’est chargée des textes, s’est beaucoup inspirée de leur vie à tous les 3 pour ces Voyages. Une superbe façon de boucler la boucle !
(Récit complet, 164 pages – Editions Daniel Maghen)