BD. « Worm ». De la vermine en anglais. Voilà le surnom que Fidel Castro donnait aux cubains qui cherchaient à fuir leur pays après la révolution de 1959. Ceux qui comprirent rapidement après la prise de pouvoir des barbus insurgés et leur allégeance à l’union soviétique qu’un dictateur (Batista) avait juste été remplacé par un autre dictateur, notamment quand le gouvernement prit le contrôle de la presse, refusa d’organiser des élections et confisqua des terres aux agriculteurs. La famille d’Edel Rodriguez a pourtant voulu y croire, au début et a joué le jeu, assez longtemps, mais l’atmosphère est devenue petit à petit irrespirable sur l’île à cause du manque de libertés, des rationnements drastiques (Cuba ne tarda pas à manquer de tout à cause du blocus organisé par les USA) et de la surveillance des membres du parti présents dans tous les quartiers. Alors, quand une opportunité est apparue, en 1980, le régime ayant décidé de laisser partir (non sans les humilier au cours d’ »actes de répudiation » et de confisquer tous leurs biens avant leur départ…) ceux qui avaient un bateau vers la Floride, les parents d’Edel et une bonne partie de sa famille décidèrent de franchir le pas. Suivirent les préparatifs secrets pour ne pas attirer l’attention, l’anxiété, la chaleur et la faim qu’ils connurent dans le camp où le régime les garda avant d’accepter leur départ, les négociations avec les soldats et la traversée, homérique (en plus du groupe des parents d’Edel, des prisonniers et malades mentaux -dont le régime voulait se débarrasser par la même occasion- embarquèrent également). C’est cela que l’auteur raconte dans ce livre : le Cuba de son enfance, ce régime révolutionnaire qui a oublié ses racines et s’est enfoncé dans ses contradictions au mépris de la population et le départ de sa famille, pour sortir de cet enfer. Mais pas seulement. Car si l’auteur a trouvé aux Etats-Unis une terre de liberté où son Art a pu s’épanouir, il a vu apparaître, ces dernières années, dans son nouveau pays, des atteintes à la liberté, une intolérance et un rejet des étrangers et une manipulation de la vérité et des médias qui lui rappellent étrangement la dictature cubaine et l’inquiètent. Une gangrène néo-fasciste impulsée par Trump contre laquelle il a décidé de s’engager en réalisant des dessins et des affiches qu’il a d’abord postés sur les réseaux avant qu’ils ne soient publiés par de grands magazines, Time aux USA, Der Spiegel en Allemagne, qui en ont fait leur une. Un combat qu’il poursuite avec Worm car la menace persiste…
Venu de l’illustration (cela se sent dans la composition des pages, originale et inventive, et le côté « graphique », qui rappelle Séra, du dessin), Edel Rodriguez livre ici un récit percutant, touchant aussi, à la fois autobiographie, hommage à sa famille et aux immigrants et combat pour la liberté et la démocratie. Absolument indispensable !
(Récit complet, 296 pages – Bayard Graphic)