Si vous vous
baladez à Berlin, vous verrez à quel point la ville change
encore et toujours. Toujours autant de grues dressées vers le
ciel, toujours autant de canalisations (bleues ou roses) sortant du
sol, autant de palissades et de rues barrées. Une évolution
continue qui commence à inquiéter et qui provoque des
mouvements de contestation.
Rien n’est nouveau et pas plus à Berlin qu’ailleurs,
la ville change : New-York n’est plus la même, Londres
n’est plus la même, Paris non plus d’ailleurs. Mais,
alors que le développement durable est une notion plus que jamais
à la mode dans le développement urbain, se pose la question
de la décroissance. Surtout quand les projets urbains manquent
de sens.
Les « Big Five »
Media Spree, c’est avant tout aménager les rives de la
Spree. Est côté Friedrichshain et Ouest côté
Kreuzberg, entre le pont de Warschauer Brücke et celui de Jannowitz.
Rénover les vieux entrepôts, urbaniser les terrains vagues,
assainir les immeubles insalubres proches et c’est a priori l’objet
d’un service d’urbanisme d’une grande ville. Et jusque-là,
personne ne peut être contre. Sauf les fabricants de raticides,
éventuellement.
Mais Media Spree s’est avéré bien plus que ça.
Et pas aussi « sain » que ça, malheureusement.
Et c’est là qu’il faut être vigilant.
Media Spree, c’est un des « Big Five » du
nouvel urbanisme de Berlin : après Potsdamer Platz, la nouvelle
gare centrale et avant la fermeture / nouvelle vocation de l’aéroport
de Tempelhof. Des bureaux, des logements, une salle de spectacles, etc.
sont prévus avec un axe d’activité qui, comme le
nom l’indique, guide le tout : les médias. Universal
est déjà là. MTV prévoit de s’installer,
Pixelpark aussi.
En 2005, le projet sort de terre et le nouveau visage des rives saute
aux yeux du passant. Les berges sont bétonnées et aménagées,
la voirie est réorganisée et des bâtiments de grande
hauteur sont prévus. O2, l’opérateur de téléphonie,
parraine la nouvelle grande salle de spectacle qui sort déjà
de terre à cette époque.
Et tout Berlinois averti aura remarqué que la East Side Gallery
(plus d’1 km de l’ancien mur de Berlin qui restait le long
de la rivière) est en partie « démontée ».
Amputée sur sa longueur pour laisser place à un embarcadère.
Les
bords de la Spree pour tous
Et nombre d’effets pervers de la construction du nouveau quartier
se font très vite sentir : le prix de l’immobilier
augmente dans les rues adjacentes, des boursicoteurs s’intéressent
aux anciens entrepôts, visant la plus-value à faire sur
le moyen terme (voir « Un squat à vendre »,
Steh auf Berlin n°8) et les différentes projections reflètent
encore une fois la folie des grandeurs des promoteurs. Dans une ville
où le nombre de mètres carrés de bureaux vides
approche celui d’arbres (1,5 millions), il faut d’autant
plus être vigilant.
Par ailleurs, le financement de ce projet d’aménagement
est un partenariat public/privé. Les investisseurs reçoivent
des aides de la mairie et de l’Etat. Le site internet de « Mediaspree
Versenken ! » documente très précisément
les aides reçues. Par exemple, Universal a reçu 10 millions
d´euros des pouvoirs publics, au titre d´ « aide
au départ », pour son déménagement de Hambourg
et son installation sur les berges de la Spree. MTV a reçu le
même type d´aides, d´un montant inconnu. Quant au
groupe Anschutz Entertainment, qui construit la plus grande salle de
spectacles de la ville, pouvant accueillir 17 000 personnes, il a vu
financés à 80% sur fonds publics les infrastructures d´accès
au lieu, ainsi que les travaux d´aménagement de la zone.
Enfin, dernière question et non des moindres : quels sont
les emplois que ces entreprises de média auront à proposer ?
Télé-opérateurs dans un call-center ? Stagiaire
dans une maison de disques prestigieuse ? Le nombre de précaires
(jobbers, chômeurs, RMIstes) à Berlin approchant lui aussi
le nombre d’arbres et le taux de chômage s’établissant
autour de 15%, il arrive un moment où il ne faut pas seulement
rester vigilant mais où il devient urgent de montrer un peu les
dents. Et ça a débuté en 2005 avec la campagne
« Spreeufer für alle ! », les bords
de la Spree pour tous, lancée par le collectif « Mediaspree
Versenken ! ». Couler Mediaspree. Rein de moins.

Contre-projets,
manifestations et référendum local
À l’origine, des habitants des quartiers concernés.
Architectes ou urbanistes mais aussi simplement habitants aimant leur
quartier, s’intéressant à son avenir et à
son image à l’avenir. La culture existe déjà
disent-ils. Les parcs aussi. Désorganisés, certes, mais
d’une plus grande envergure que les parcs miniatures prévus
par le projet. Par ailleurs, 2/3 des terrains concernés sont
propriété de la ville de Berlin. Les privatiser ne provoquerait
que l’accélération de la spirale d’augmentation
des prix de l’immobilier et ne participerait absolument pas au
développement local et social de Friedrichshain ou de Kreuzberg.
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Ensuite, il n’y
a pas de plan B prévu pour les entreprises qui occupent actuellement
les entrepôts promis à la démolition ou à
la rénovation.
Et enfin, et plus technique, le sol très marécageux
de Berlin, surtout si près de la Spree, ne supporterait pas
les constructions de grande hauteur prévues (dans le projet,
beaucoup atteignent 50 mètres et un culmine à 138 mètres).
Alors, ils refusent de laisser se construire ce quartier de l’ « entertainment ».
Mais ils préviennent sur leur site internet que leur objet
n’est pas d’empêcher l’aménagement
des berges de la Spree, ni de bloquer le développement de la
ville mais bien d’éviter la déconstruction sociale
que provoquerait indéniablement le projet tel qu’il est
conçu. Il lance alors une pétition revendiquant :
50 mètres libres de construction à partir de la berge,
une hauteur maximale des bâtiments limitée à 22
mètres, une passerelle piétonne à la place du
pont routier prévu entre Kreuzberg et Friedrichshain.
Et si l´initiative parvient à réunir 5 500 signatures
valides d´habitants du secteur Kreuzberg-Friedrichshain au 1er
avril 2008 les points qui seront soumis à un référendum
local.
Des ateliers sont mis en place afin de relever les contresens du projet
présenté et proposer des alternatives et des manifestations
ont lieu. Tous les détails sont sur leur site internet.
Epilogue
temporaire
Et finalement, la campagne « Spree für alle ! »
a été la plus fructueuse connue par Berlin. 16 000
signatures recueillies en 5 mois et la possibilité obtenue
par les habitants des deux quartiers d’influencer le projet
dans un sens ou dans l’autre en participant à un référendum
local. 15% de participation des inscrits sur les listes électorales
sont nécessaires à sa validité.
La proposition A est celle de Mediaspree Versenken !.
La proposition B est plus ou moins la version officielle et est celle
des élus de la majorité municipale des quartiers (rouge/verte :
socialistes, communistes et verts) puisque ce projet est un projet
des services d’urbanisme de la mairie de Berlin…
Le 13 juillet dernier, les habitants de Kreuzberg et Friedrichshain
étaient donc appelés à voter pour l’un
ou l’autre des projets. À 17 heures, la participation
n’était que de 5% mais finalement à la fermeture
des bureaux de vote, les 15% de participation étaient atteints
et le projet de Mediaspree Versenken ! (A) recueillait 87% d’opinions
favorables.
Les trois postulats (50 mètres libres de construction, abandon
du pont routier pour une passerelle et limitation de la hauteur des
bâtiments à 22 mètres) sont désormais à
prendre en considération dans le nouveau projet.
Une nouvelle bataille s’engage donc. Les investisseurs font
marcher leurs assurances pour se prémunir du manque à
gagner, un avocat féroce assure désormais leurs intérêts
et la municipalité du quartier a transmis le dossier à
la ville de Berlin. Il est question d’un nouveau référendum
à une échelle plus grande. Dans la réalité,
c’est un revers important pour les élus de la coalition
rouge-verte (sociaux-démocrates du SPD, verts et communistes
du PDS). Rien n’est donc acquis mais le débat sur la
privatisation des espaces publics, en particulier quand celle-ci coûte
cher aux pouvoirs publics, est lancé.
Si vous vous baladez vraiment à Berlin, vous les verrez. A
priori, c’est parce que le sol est très marécageux
et sableux et que, quand il y a des travaux, le risque qu’elles
se cassent est plus important qu’ailleurs. Alors, ils les sortent
de terre.
texte : [gildas]
photos empruntées au site www.ms-versenken.org

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