Après “La saison des billes”, Atrabile poursuit la publication des œuvres de Gilbert Hernandez hors “Love and Rockets” (la série qui l’a fait connaître et qu’il poursuit désormais depuis 30 ans avec son frère Jaime) avec un nouveau roman graphique.
Et avec “Julio”, Hernandez réussit un tour de force narratif : raconter la vie, de naissance à trépas, d’un homme, Julio donc, mais aussi de toute sa famille ! 100 pages, pas une de plus pas une de moins, pour 100 années de vie ! Avec une grande maîtrise de l’ellipse (2 ou 3 cases lui suffisent pour montrer les saisons qui défilent et ainsi faire un bond en avant de quelques années) et une étonnante capacité à saisir les moments forts d’une existence de son élégant trait en noir et blanc à l’encrage épais, il passe ainsi en revue les quelques instants de joie (comme les naissances de ses neveux ou nièces) mais aussi les nombreuses peines et coups du sort (ayant vécu vieux, il a quasiment enterré toute sa famille) de ce Julio qui a passé sa vie de mexicain immigré aux Etats-Unis à trimer pour faire manger sa famille et vivre décemment. Un homme travailleur et réservé qui ne montre que rarement ses sentiments. Il faudra d’ailleurs attendre l’une des scènes finales, la mort de son ami d’enfance Tommy, pour le voir enfin ôter sa carapace et laisser transparaître son humanité, sa fragilité. Le portrait sobre mais très subtil de cet homme qui n’a pas vraiment vécu (il a préféré se conformer aux normes imposées par la société et refouler son homosexualité) se fait alors particulièrement touchant.
Pourtant, malgré les apparences, “Julio” finit sur une note optimiste car à travers son héros éponyme, le récit traverse également 100 ans (tout le XXe siècle en fait) d’histoire américaine (les grands évènements ayant marqué le pays, comme les deux guerres mondiales, la crise de 29 ou la guerre de Corée rythment le roman graphique) et montre comment la société a au fil du temps évolué sur les questions du racisme, du tabou de la pédophilie ou de l’homosexualité. Et alors que Julio ferme les yeux, un autre Julio (Julio Juan, son arrière petit neveu) peut se promener sur la plage, main dans la main, à la vue de tout le monde, avec Bobby, son amoureux. De la belle ouvrage. Très belle même.
(Roman graphique – Atrabile)