Olivier Morel a réalisé, entre 2008 et 2011, un documentaire intitulé « L’âme en sang » dans lequel il donnait la parole à des vétérans de la guerre en Irak, revenus brisés chez eux, aux Etats-Unis, une partie de leur âme à jamais souillée par ce qu’ils ont fait ou simplement vécu là-bas. « Revenants » est en quelque sorte le journal de bord dessiné de ce film.
On sent que le réalisateur avait avant tout envie ici de revenir sur les rencontres marquantes qu’il a faites lors de ce travail. Celles de Kevin Stendal, de Jason Moon, de Ryan Endicot, de Lisa Zepeda, de Wendy Barranco ou de Vincent Emanuele. Des hommes et des femmes dont il a partagé les tourments, les obsessions, les traumatismes pendant quelques années. Des êtres qu’il mettait aussi, peut-être, en danger en leur demandant de participer à son documentaire puisqu’il les obligeait à revivre les atrocités qui les avaient plongés dans l‘alcoolisme, le mal-être, la dépression, en espérant qu’ils lui parlaient « pour ne plus jamais avoir à le faire » par la suite. Sans certitude, bien sûr. Et c’est bien entendu là toute la difficulté de ce genre de projet : jusqu’où peut-on aller sans mettre en danger les témoins du film ? La dénonciation d’une situation aussi scandaleuse fût-elle (les vétérans ont les pires difficultés pour faire reconnaître leurs traumatismes psychologiques afin d’être pris en charge et l’on parle de 100 000 vétérans de la guerre qui seraient sans domicile actuellement) justifie-t-elle que l’on « sacrifie », peut-être, la santé de quelques individus ?
Ce sont ces doutes, en même temps que ces rencontres parfois bouleversantes (comment oublier celle de Ryan et son tatouage, « Forgive me for I have sinned » –Pardonne moi parce que j’ai pêché- qui vous retourne les tripes) et son indignation face à la façon dont les gouvernements américains traitent leurs vétérans que Morel partage ici avec nous à l’heure où il va probablement devenir un citoyen de ce pays (il a en effet passé son « entretien de citoyenneté » fin 2008, pendant les repérages du tournage) dans ce livre poignant, pamphlet contre la guerre d‘autant plus réussi qu’il est, une nouvelle fois, parfaitement mis en images par Maël dont le trait vivant et expressif, un brin torturé (rehaussé ici de lavis de gris et de quelques tâches rouge…sang), n’a pas son pareil pour mettre en exergue la souffrance et la douleur des êtres. Une lecture qui vous happe et dont on ne sort pas indemne !
(Récit complet – Futuropolis)